Se demander si la mairesse de Montréal nous rend heureux est une drôle de question, je l’avoue. Je me la suis posée en visionnant Bonheur intérieur brut, la série documentaire d’Hugo Latulippe consacrée au bonheur, dont le premier de 10 épisodes est diffusé ce mardi sur TV5.

Le cinéaste québécois a parcouru le monde en quête de ce qui contribue au bonheur collectif.

Si vous avez déjà lu l’un des nombreux bouquins sur le sujet, vous êtes sans doute familier avec le concept de « bonheur national brut », un indice développé par le roi du Bhoutan en 1972. L’idée est de mesurer le bien-être de la population non pas par son produit intérieur brut, mais par son niveau de bonheur. On dit « bonheur », mais on pourrait parler de bien-être, d’équilibre intérieur ou d’harmonie.

Qu’ont en commun les sociétés où cet indice est élevé ? Elles valorisent l’éducation, la santé, la justice sociale, le contact avec la nature…

Plusieurs ont un autre atout qui m’intéresse encore plus, et qui est abordé dans l’épisode qu’Hugo Latulippe consacre à la gouvernance : elles sont dirigées par des femmes.

Pour mieux comprendre ce phénomène, le documentariste est allé à la rencontre de la première ministre de l’Islande, l’écologiste Katrín Jakobsdóttir, au pouvoir depuis 2017.

Contrairement au premier ministre du Québec, la PM islandaise n’est pas obsédée par l’économie. Elle concentre ses efforts sur des dossiers comme l’égalité des sexes, la répartition de la richesse, le service public et la transition écologique. Des dossiers qui ont un impact tout aussi important que l’économie sur le bien-être de sa population.

IMAGE TIRÉE D’UNE BANDE-ANNONCE DE LA SÉRIE BONHEUR INTÉRIEUR BRUT

Le documentariste est allé à la rencontre de la première ministre de l’Islande, l’écologiste Katrín Jakobsdóttir, au pouvoir depuis 2017.

Latulippe s’est aussi entretenu avec Li Sigrid Andersson, présidente de l’Alliance de gauche en Finlande. La jeune femme a occupé le poste de ministre de l’Éducation du pays au sein d’un gouvernement de coalition dirigé par Sanna Marin jusqu’en juin 2023. Elle aussi défend des valeurs progressistes et prône une façon différente d’exercer le pouvoir (la coalition formée par cinq partis de gauche en est un bon exemple).

Bien sûr, la seule présence des femmes dans un poste de pouvoir n’est pas une garantie de bonheur collectif. C’est plutôt le contexte qui rend possible l’accession des femmes au pouvoir qui contribue au bonheur d’une population.

La Finlande et l’Islande sont des pays avec des programmes sociaux forts où on valorise l’égalité entre les sexes et le partage des tâches et des responsabilités familiales. Qu’on soit un homme ou une femme, on peut espérer se réaliser comme individu en Finlande et en Islande. Ce sont des ingrédients importants dans la recette du bonheur.

Il n’y aura pas de miracle

Qu’est-ce que Valérie Plante vient faire dans ce portrait ? À titre de première mairesse de l’histoire de Montréal, elle fait partie des leaders interviewées par Hugo Latulippe.

J’avoue que j’ai été un peu surprise de la trouver là. Est-ce qu’elle vient confirmer ou faire mentir la thèse du documentariste ? Est-ce qu’on peut dire que l’indice du bonheur des Montréalais est élevé depuis qu’une femme siège à l’hôtel de ville ?

On n’a pas vraiment d’outil pour le mesurer. D’un côté, on pourrait plaider que les nombreux palmarès qui classent Montréal dans les villes où il fait bon vivre nous indiquent que le niveau de bonheur est enviable dans la métropole. Mais de l’autre côté, si on allait faire un vox-pop ces jours-ci pour demander aux Montréalais comment ils se sentent, je ne suis pas certaine que c’est le mot « bonheur » qui viendrait en premier…

Je ne crois pas non plus que les Montréalais ont un sentiment de bonheur plus élevé que les gens de Québec ou de Laval, deux villes dirigées par des hommes.

Par contre, je dirais que Valérie Plante partage certaines valeurs avec les Islandais et les Finlandais.

Elle essaie de mettre en place des processus de démocratie participative, elle travaille à améliorer le vivre-ensemble et souhaite, par ses valeurs plus écologiques, offrir une meilleure qualité de vie à ses citoyens. Ça, c’est sur papier.

Est-ce que sa vision se traduit dans la réalité ? Il est trop tôt pour le dire, mais une chose semble évidente : elle affronte des vents de face. On a beau avoir des idées différentes, si le contexte n’est pas favorable pour les implanter, la partie est loin d’être gagnée.

Je dirais que la présence de Valérie Plante dans le documentaire d’Hugo Latulippe vient mettre en lumière les limites de l’action des femmes en politique. Pour pouvoir changer les choses en profondeur, il faut que les femmes soient présentes en plus grand nombre.

Seules ou isolées, elles ne peuvent pas faire de miracles.

Valérie Plante a peu ou pas de contrôle sur l’itinérance, l’immigration ou la crise du logement, des dossiers qui ont un gros impact sur le bonheur des Montréalais.

Au fond, ce que nous fait réaliser cette réflexion sur le bonheur et la gouvernance d’Hugo Latulippe, c’est à quel point il reste des obstacles à surmonter pour que nos gouvernements soient plus représentatifs et plus efficaces.

Comme le dit Frédéric Lenoir, philosophe chouchou des Québécois, interviewé dans le documentaire : « Un des principaux problèmes des sociétés est l’avènement de la société patriarcale, parce qu’elle a imposé des valeurs de domination, de prédation et de compétition. »

La bonne nouvelle, ajoute-t-il, « c’est que l’humanité est en train de s’apercevoir que pour ne pas aller tout droit dans le mur – puisque la catastrophe écologique est liée à toutes ces valeurs de domination et de prédation –, il faut sortir de cette logique ».

Selon le philosophe, nos sociétés sont à un tournant et doivent aller davantage vers des logiques « typiquement féminines » (ce sont ses mots) de collaboration, d’empathie et d’intériorité.

Des valeurs, tient-il à préciser (et je suis d’accord avec lui !), qui peuvent aussi être défendues par des hommes.

Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue