Il y a un moment, dans Le garçon et le héron, où le jeune protagoniste, Mahito, se retrouve face à un portail doré et ouvragé, planté au milieu de nulle part.

C’est un nulle part relatif, bien sûr, dans les faits c’est un lieu magnifique, planté sur un escarpement en bord de mer. Un bon vent fait danser les herbes hautes – comme souvent dans les films d’Hayao Miyazaki, on dirait qu’elles sont traversées par une onde. Au-dessus du paysage, un ciel bleu sur lequel défilent lentement de gros nuages texturés, caractéristiques eux aussi de l’œuvre du réalisateur.

Une inscription sur l’arche du portail prévient qu’il vaut mieux ne pas s’avancer outre, aussi Mahito, prudent, se contente d’observer à travers la grille une sorte de gros dolmen sous lequel s’agitent d’étranges lueurs. Et puis, soudain, des pélicans arrivent. Des centaines, des milliers de pélicans blancs qui entourent Mahito et se pressent contre lui, l’enterrant pratiquement et enfonçant les portes dorées du portail.

Assise dans le cinéma, j’ai eu une pensée confuse et émerveillée à propos de la vie onirique de Miyazaki, je me suis dit : « Cet homme-là doit rêver tellement fort. »

Ce n’était pas la première fois que je me faisais cette réflexion à propos de Miyazaki, d’ailleurs quiconque fréquente un peu son œuvre a dû arriver à la même conclusion en voyant un train presque vide filer sur une mer étale, ou une petite fille rousse courir sur la crête d’un tsunami, portée par son amour pour un garçon de 5 ans. Ses films sont des poèmes, des éclosions de subconscient, des bouffées d’enfance retrouvée.

Je suis arrivée en retard au party miyazakien. C’est mon chum qui m’a emmenée voir Ponyo, en 2009, avec ses deux enfants encore petits. Ils étaient excités – tous les trois – comme des puces, ravis dès la scène d’ouverture, une sorte de long ballet subaquatique au bout duquel un petit poisson à visage d’enfant quittait ses sœurs en nageant parmi les méduses. Les images étaient complètement surréalistes, mais elles irradiaient de vérité, une contradiction en apparence seulement que j’ai par la suite retrouvée avec bonheur dans tous ses films, sans doute parmi les plus émotionnellement justes qu’il m’ait été donné de voir.

  • Image tirée du film Le voyage de Chihiro (2001)

    IMAGE STUDIO GHIBLI, FOURNIE PAR LE NEW YORK TIMES

    Image tirée du film Le voyage de Chihiro (2001)

  • Image tirée du film Kiki la petite sorcière (1989)

    IMAGE STUDIO GHIBLI, FOURNIE PAR LE NEW YORK TIMES

    Image tirée du film Kiki la petite sorcière (1989)

  • Image tirée du film Le garçon et le héron (2023)

    IMAGE STUDIO GHIBLI, FOURNIE PAR LE NEW YORK TIMES

    Image tirée du film Le garçon et le héron (2023)

  • Image tirée du film Le garçon et le héron (2023)

    IMAGE STUDIO GHIBLI, FOURNIE PAR ASSOCIATED PRESS

    Image tirée du film Le garçon et le héron (2023)

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Il y est question de colère face à la crise environnementale, d’amour de la nature, d’inquiétude face au monde qui change, de courage moral et de don de soi. À part pour quelques exceptions, presque tous les héros de Miyazaki sont des enfants ou des adolescents qui sont aux prises avec l’obligation de grandir dans un monde qu’ils n’ont pas choisi et qui aurait grand besoin d’amour. Ils doivent faire face aux limites de leurs capacités et à cette question que posent tant de belles histoires : que puis-je faire avec celles qui m’ont été données ?

Ils trouvent des réponses, leurs réponses, avec leurs moyens d’enfants et de jeunes adultes. Ils sont tous, à leur manière, d’incorruptibles petits joyaux, faits d’une matière extrêmement dense et concentrée. Derrière leurs grands yeux de mangas brille le même feu, la même résolution : ils veulent faire ce qui est bien. Que ce soit dans des forêts peuplées de démons, dans d’étranges zeppelins, ou dans leur subconscient, ils gardent le cap – même perdus, ils savent où ils s’en vont.

Ils sont, en cela, beaucoup plus purs que les forces pour lesquelles il leur arrive de se battre, esprits de la nature et maîtres du temps qui existent au-delà de la morale, tour de force d’un cinéaste qui peut autant vous briser le cœur avec l’image d’une flottille au coucher de soleil que faire un statement moral et philosophique d’une cohérence absolue en promenant un corps translucide et étêté au-dessus d’une forêt.

Quant aux antagonistes, quand il y en a, ils ne sont pour la plupart pas tant des méchants que des adultes qui ont perdu de vue l’essentiel. Les dunes piquées d’aphorismes du Petit Prince ne sont jamais loin. Gambadent autour de tout cela diverses créatures bienveillantes, mignonnes poussières, énormes toutous, épouvantails sautillants et esprits dragons, de quoi garnir une maison tout entière en adorables produits dérivés (même les guerriers les plus purs finissent par capituler face au démon du capitalisme).

Le charme des films ne s’émousse pas, en tout cas pas dans mon expérience, ni de toute évidence dans celle des membres de ma famille, qui s’organisent régulièrement des petits festivals Miyazaki en gang ou en solo, retrouvant avec toujours le même bonheur ses petites sorcières et ses fillettes espiègles, ses bébés géants transformés en souris et ses louves blanches, toutes ces histoires démentielles qui donnent un sens à ce que c’est que grandir.

J’écrivais plus tôt que Miyazaki me semble être quelqu’un qui rêve très fort, mais c’est une description approximative, qui vise la cible mais ne l’atteint pas. La cible est trop grande, de toute façon. Il faut la voir pour en prendre la mesure.

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