Un scandale suivi d’une magouille, et on enchaîne avec une pratique illégale, un manque de jugement, une suspension de permis, puis un autre scandale.

Si vous lisez les articles de ma collègue Isabelle Dubé, vous savez que ça brasse, et pas à peu près, dans le joyeux monde du courtage immobilier.

Une courtière bien en vue, Christine Girouard, s’est fait pincer à orchestrer des offres bidon destinées à gonfler artificiellement les prix et ainsi empocher de plus grosses commissions.

Un autre courtier, David Tardif, a été suspendu pour avoir acheté lui-même la maison de son client vulnérable.

Un autre encore, Mathieu Arsenault, a égaré son jugement pas mal loin en donnant de l’argent à des enfants dans ses publicités (il a évité la suspension de permis pour l’instant, mais son cas n’est pas réglé).

On a aussi vu des courtiers enfreindre la loi en offrant des garanties de vente à leurs clients. Solliciter illégalement les clients du service DuProprio. Contourner la nouvelle loi qui interdit de représenter à la fois l’acheteur et le vendeur en travaillant en équipe.

Avec tout ce qui explose, peut-on encore faire confiance à un courtier immobilier ? Comment croire que celui-ci travaille vraiment dans l’intérêt de son client et non pas pour ses propres poches ?

C’est ce dont j’ai voulu discuter avec Marc Lacasse, courtier immobilier et président du conseil d’administration de l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec (APCIQ).

« On ne peut pas être imperméable à ça », dit-il d’emblée à propos de la pétarade de scandales qui éclatent.

PHOTO FOURNIE PAR L’ASSOCIATION PROFESSIONNELLE DES COURTIERS IMMOBILIERS DU QUÉBEC

Marc Lacasse, président du conseil d’administration de l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec

C’est sûr que ça nous affecte émotionnellement. Ce qui se passe n’entache pas seulement la réputation des courtiers concernés. Ça vient entacher la réputation du courtage au Québec.

Marc Lacasse, président du conseil d’administration de l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec

Difficile de le contredire là-dessus.

M. Lacasse évoque des « cas isolés ». Je lui soumets toutefois que ces cas sont peut-être symptomatiques d’un désalignement des intérêts plus fondamental dans le courtage immobilier.

Un particulier qui veut acheter une maison, par exemple, cherche à payer le plus bas prix possible et peut vouloir prendre son temps pour s’assurer d’acquérir la bonne propriété. Le courtier, lui, n’a-t-il pas intérêt à boucler la transaction promptement et à un prix élevé pour toucher une commission rapide et généreuse ?

« Je vais parler pour la grande majorité des courtiers du Québec, me répond M. Lacasse. Moi, ce que je souhaite, c’est d’être votre courtier pour la vie. Je veux que la première transaction soit tellement “wow” que je devienne le courtier que vous allez recommander autour de vous. Et quand ça va être le temps pour vous de revendre pour acheter, d’investir dans un multilogements ou d’acheter une maison secondaire, je veux que ce soit moi. Pour ça, il faut que je sois impeccable. La majorité des courtiers travaille sur du moyen-long terme. »

M. Lacasse rappelle que la moyenne de rémunération d’un courtier s’élève à 2 % du prix de vente.

J’ai plus de chance de faire un effet wow si je fais économiser 10 000 $ à mon client que si je me mets 200 $ dans les poches.

Marc Lacasse, président du conseil d’administration de l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec

M. Lacasse plaide aussi que le prix n’est qu’une partie de la transaction. En tant que « facilitateur », le courtier négociera aussi la date de prise de possession, les inclusions et les exclusions (meubles et autres), les travaux ou les rabais à consentir après l’inspection.

Je comprends qu’on ne peut juger l’ensemble d’une profession à ses pires délinquants. Mais en 2021, la chaîne CASA a diffusé la première saison d’une émission de téléréalité, Numéros 1, qui suivait six courtiers immobiliers. Pas moins de la moitié d’entre eux (Christine Girouard, Mathieu Arseneault et David Tardif) se sont retrouvés devant le comité de discipline de l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ) !

C’est sans compter que le courtier de l’émission François MacKay a longtemps offert des garanties de vente douteuses et que la nouvelle venue de la troisième saison, Amy Assaad, s’est déjà vu imposer des amendes totalisant 10 000 $ par le comité de discipline de l’OACIQ.

PHOTO FOURNIE PAR LE GROUPE TVA

Les courtiers immobiliers pour la nouvelle saison de l’émission Numéros 1

Comment alors croire à la théorie des cas isolés ?

« Je ne peux pas vous l’expliquer nécessairement, mais je peux juste penser qu’on a ici les “top” [de l’industrie]. On regarde leur train de vie, leurs voitures… C’est bien extravagant, mais ça ne représente tellement pas notre profession », répond M. Lacasse.

J’ai aussi donné un coup de fil à l’OACIQ, dont la mission est d’assurer la protection du public (et qui a longtemps eu mauvaise réputation auprès des consommateurs, qui ne se sentaient pas suffisamment protégés).

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

MCaroline Champagne, vice-présidente, encadrement, à l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec

L’organisme plaide que s’il y a des scandales qui éclatent, c’est justement parce qu’il joue son rôle de gendarme. « Au cours des dernières années, on a effectivement vu des choses plus ou moins jolies. Mais je pense que, justement, le public peut avoir encore plus confiance de faire affaire avec un courtier qui n’a pas fait l’objet de plaintes disciplinaires », soutient MCaroline Champagne, vice-présidente, encadrement, à l’OACIQ.

MChampagne explique que les 210 employés de l’OACIQ déposent des requêtes de sanction contre les délinquants, font de la formation, vérifient l’intégrité des courtiers en se faisant passer pour des clients mystères.

Les gouvernements ont aussi réagi en interdisant par exemple aux courtiers de représenter à la fois l’acheteur et le vendeur. Mais, fait révélateur, les courtiers ont réussi à contourner l’esprit de la loi en se mettant en équipes, ce qui a obligé l’OACIQ à intervenir.

« Il n’y a pas un courtier à qui je parle qui aime que notre réputation à tous soit entachée, réitère Marc Lacasse, de l’APCIQ. Plus ce sera sévère, plus les cas que vous mentionnez font les manchettes, plus j’ose espérer que les courtiers feront appel à beaucoup plus de prudence et de transparence lorsqu’ils feront face à certaines situations. »

Verdict

Je connais le danger de tirer des conclusions à partir de cas anecdotiques et il faut bien admettre qu’une minorité de courtiers immobiliers se retrouvent avec des problèmes disciplinaires. Selon les chiffres les plus récents, le Québec compte 16 632 courtiers immobiliers qui ont effectué 77 841 transactions l’an dernier. Seulement 54 d’entre eux ont été sanctionnés en 2023.

Il reste que l’effronterie et le manque de jugement flagrant de certains courtiers bien en vue me laissent penser que des pratiques déviantes et une impression d’impunité se sont installées dans au moins certains segments de l’industrie.

Encore aujourd’hui, votre courtier peut vous dire qu’une offre concurrente a été déposée ou est sur le point de l’être et vous aurez bien de la difficulté à le vérifier.

Le fait qu’il faille des interventions régulières de Québec et de l’OACIQ pour discipliner les courtiers (je pense au respect de la loi empêchant un courtier de représenter à la fois le vendeur et l’acheteur ou au harcèlement des clients de DuProprio) me fait aussi penser que plusieurs auraient intérêt à réviser leur code de déontologie.

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