Vivre jusqu’à 120 ans ne vous fait pas rêver si je me fie à l’échantillon de courriels reçus depuis la publication de notre dossier sur la longévité, dimanche⁠1.

« Lorsqu’on voit comment les personnes âgées sont traitées dans notre société, qui veut vivre aussi vieux ? m’écrit André. À moins d’être millionnaires, certainement pas moi. »

« On voudrait tous avoir une vie longue et belle, m’écrit Pierre, mais entre une belle vie et une vie allongée à outrance, je préfère une vie bien remplie et intense. »

« Vous citez l’exemple de super riches, mais je me demande si les pauvres ont envie d’en arracher jusqu’à 100 ans », lance Yvon.

Je ne suis pas très surprise par la teneur de vos commentaires. Je fais les mêmes constats que vous. Quand on regarde le sort qu’on réserve aux personnes âgées dans nos sociétés, ce n’est pas très tentant de vivre jusqu’à 100 ans et plus.

« Quand on demande aux gens quelle est leur priorité, ce n’est pas la longévité qui les préoccupe, me confirme Anik Giguère, professeure au département de médecine familiale et de médecine d’urgence de l’Université Laval. Leur priorité, c’est la qualité de vie. »

La chercheuse affiliée à VITAM-Centre de recherche en santé durable note qu’au Québec, la médecine est surtout axée sur la maladie. « Moi, je m’intéresse au maintien de la santé et au bien-être », m’explique la professeure qui travaille sur la façon dont on communique avec les personnes âgées. Elle développe entre autres des outils pour les aider à identifier des signes de vieillissement et à en parler à leur professionnel de la santé. « L’information se rend très mal aux individus », constate-t-elle.

Pour rejoindre les gens plus facilement, Anik Giguère lance une idée : « Quand tu accouches, tu reçois le petit guide Mieux vivre avec mon enfant. Pourquoi pas un guide Vieillir en santé dans lequel on retrouverait plein d’informations pertinentes pour les personnes vieillissantes ? »

J’espère sincèrement que cette chronique sera lue par quelqu’un au ministère de la Santé, car je trouve cette idée absolument brillante.

Anik Giguère rêve aussi d’implanter un programme inspiré de l’Ontario où des infirmières en prévention travaillent sur le terrain, auprès des personnes âgées. « Il y a beaucoup de travail à faire », reconnaît la professeure Giguère.

De fil en aiguille, on en est venues à parler d’âgisme, car cette discrimination si répandue dans la société freine les projets et les initiatives. Parler de vieillesse est encore très tabou. Anik Giguère croit qu’il y a beaucoup de chemin à faire pour accepter que « nous avons tous une personne vieillissante en nous ».

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Des personnes âgées font de l’exercice dans une résidence. Dans six ans, le quart de la population du Québec aura 65 ans ou plus.

Elle a tellement raison. Les mots « vieux » et « vieillir » font peur. L’âgisme peut s’infiltrer dans notre esprit à notre insu.

Or, en cachant tout ce qui touche à la vieillesse, on complique la tâche à ceux et celles qui travaillent fort pour adapter nos sociétés à une réalité brutale : dans six ans, le quart de la population du Québec aura 65 ans ou plus.

Il faut créer des environnements pour que toutes ces personnes puissent vivre une vie stimulante, riche, satisfaisante et sécuritaire.

On ne peut pas imaginer une société où le quart de la population se sentirait inutile et ostracisé parce qu’il a plus de 65 ans.

Les Japonais ont un mot que j’aime beaucoup : ikigai, qui signifie le sens qu’on donne à sa vie, sa raison d’être.

Il faut que notre société crée des conditions pour que les gens puissent trouver ce sens et continuer à se réaliser, peu importe leur âge.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Il y a de plus en plus d’urbanistes et d’architectes qui réfléchissent à des façons de créer des espaces qui favorisent les rencontres. Car les interactions sociales sont bonnes pour la santé et la longévité.

Des villes pour mieux vieillir

L’âgisme peut aussi se cacher dans la façon dont on conçoit nos villes, dans l’urbanisme, l’architecture, la vie communautaire.

Dans un monde où on peut très bien passer sa journée sans parler à un être humain (boîte vocale, caisse automatisée, prise de rendez-vous en ligne, etc.), il y a de plus en plus d’urbanistes et d’architectes qui réfléchissent à des façons de créer des espaces qui favorisent les rencontres. Car les interactions sociales, on le sait, sont bonnes pour la santé et la longévité.

Les villes aussi réfléchissent au vieillissement puisqu’elles sont responsables de l’aménagement de leur territoire et des relations avec leur communauté. À Laval, par exemple, où près du cinquième de la population est âgé de 65 ans ou plus, on a investi 100 000 $ dans la plateforme Luci développée par Lucilab, une initiative de la famille Chagnon (ma collègue Émilie Côté en avait parlé l’automne dernier⁠2).

La plateforme numérique se spécialise dans l’amélioration des bonnes habitudes de vie (alimentation, exercice et santé cognitive) et propose un suivi gratuit à ceux qui s’embarquent pour un programme de 12 semaines. « On rêve de travailler avec le ministère de la Santé pour l’offrir un jour à l’ensemble des Québécois », me confie le PDG de Lucilab, Marc-André Chagnon.

C’est ce genre d’initiatives qu’on souhaite voir se multiplier partout au Québec. Pour y arriver, il faut être capable de prononcer les mots « vieux » et « vieillesse » sans trembler.

Rectificatif :
Dans une version précédente de ce texte, nous écrivions que Lucilab était une antenne de la fondation Chagnon. Il s’agit plutôt d’une initiative de la famille Chagnon.

1. Lisez le dossier « Soufflerons-nous 120 bougies un jour ? » 2. Lisez l’article « Dans le cerveau de Lucilab » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue