On a beaucoup relayé, la semaine dernière, des images de Mark Zuckerberg s’excusant auprès de familles d’enfants ayant été victimes d’exploitation sexuelle sur les réseaux sociaux.

Il n’y avait là rien de spontané, Zuckerberg était convoqué par le Sénat américain, devant lequel se tenait une déconcertante audience sur ce grave sujet. Il exsudait le malaise et le désir d’être ailleurs, il semblait même un peu terrifié, de la terreur bête et brute d’un chevreuil pris dans la lumière des phares. Mais on avait beau chercher, il n’y avait pas de réelle contrition, ni dans la rigidité sans grâce de sa posture ni dans le ton de sa voix.

C’était un moment assez surréaliste, quand même. Zuckerberg a fini par se lever, après moult bégaiements, seulement parce qu’un sénateur lui a dit : « Des familles de ces enfants sont là, ici. Leur avez-vous présenté vos excuses ? Voudriez-vous leur présenter vos excuses ? Vous êtes à la télévision nationale. »

Avant même que Zuckerberg se soit retourné vers les familles, des dizaines de journalistes s’étaient levés et massés autour de lui pour filmer l’évènement avec leurs téléphones.

Il y avait quelque chose d’animal dans le mouvement, et même si on peut difficilement ressentir de la compassion pour Zuckerberg ou le percevoir comme une proie, c’est un peu l’image qui venait en tête, une meute qui se referme autour de sa proie.

Évidemment, la meute a par la suite relayé les images sur les réseaux sociaux que tout le monde était là pour dénoncer, et ce n’était là qu’une des absurdités manifestes dans ce cirque médiatique, l’autre étant l’allégeance politique des plus motivés des interrogateurs.

Le sénateur en question, Josh Hawley, parlait avec aplomb et un outrage palpable qu’on lui a souvent entendu – il est aussi connu pour ses positions antiavortement, son conservatisme chrétien radical et le fait qu’il a été le premier membre du Sénat à déclarer qu’il refuserait de certifier la victoire de Biden en 2020. Un chic type, vraiment, riche de grandes réserves de hargne, qu’il dirigeait, ce jour-là, vers les dirigeants du Big Tech, comme l’ont fait la plupart de ses collègues républicains.

Ce sont eux qui ont mené le bal durant une bonne partie des audiences, des messieurs blancs qui défendent bec et ongles l’industrie des énergies fossiles et qui veulent réglementer le corps des femmes, mais pas l’usage des armes à feu. Ils se feraient passer sur le corps par Donald Trump et vouent une haine de principe à ces jeunes milliardaires libéraux, dont les plateformes – et c’est bien ce qui rendait ces audiences ahurissantes – ont pourtant servi à continuellement désinformer et radicaliser leur électorat. On a beau dire qu’on ne s’étonne plus de l’hypocrisie et de la malhonnêteté intellectuelle de ce parti, c’était quand même assez sidérant.

Des parallèles avec certaines scènes du film Oppenheimer venaient en tête, l’absurdité des audiences, l’hypocrisie des enquêteurs, le feeling de fin du monde associé aux terribles inventions mises en cause. Shou Zi Chew, PDG singapourien de TikTok, s’est fait demander avec insistance : « Êtes-vous membre du Parti communiste chinois ? »

PHOTO MARK SCHIEFELBEIN, ASSOCIATED PRESS

Le sénateur Lindsey Graham lors de l’audition de la commission judiciaire du Sénat sur la sécurité des enfants en ligne, à Washington

Il fallait voir Lindsey Graham, le sénateur de la Caroline du Sud, talonner le patron de Discord, Jason Citron, avec son accent tout droit sorti d’Autant en emporte le vent. Qu’on honnisse les vues politiques du monsieur ou pas, il avait quand même le ton requis pour l’occasion, et il était presque tentant d’applaudir quand il a lancé « you sir, have blood on your hands ». Comme si les idéologues de son parti n’en avaient pas…

C’est que malgré tout, il avait raison, ce monsieur qui dégage le propriétaire de plantation à plein nez, comme ses collègues, d’ailleurs, dont l’indignation et l’outrage étaient enfin dirigés contre une cible effectivement dangereuse.

Si les républicains mettaient à contenir les dérives du Big Tech autant d’énergie qu’ils en mettent à attiser la haine de l’autre chez leurs électeurs, ils pourraient peut-être, vraiment, améliorer le sort de leur nation et, par extension, celui du monde entier.

Mais on sentait bien que tout cela, malgré la gravité de la situation et la sincérité des détracteurs, était en pure perte. On aura offert au public un moment somme toute assez jouissif, quelques précieuses images de petits milliardaires mal à l’aise qui se font rentrer dedans par des élus, mais au bout du compte, ces enfants disparus ne reviendront pas, et d’autres après eux seront aspirés.

Personne ne peut refermer les portes qu’ont ouvertes les Zuckerberg et autres Citron, mais il est encore possible d’armer nos enfants contre tout ce qui passe à travers elles. C’est un chantier monumental, qui relève d’abord et avant tout de l’éducation, mais si les républicains avaient vraiment à cœur le sort des futures générations, ils pourraient peut-être y atteler leur formidable machine.

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