Pour commencer cette chronique sur les démissions dans le monde municipal, je tiens à souligner que le phénomène est exactement le même en France. Depuis 2020, 13 000 élus municipaux français ont claqué la porte pour des raisons qui ressemblent à ce qui se vit chez nous⁠1. L’enjeu avec lequel nous sommes aux prises a des sources profondes, c’est du sérieux.

Je vois cinq explications à cette tendance lourde. Quatre ont souvent été abordées dans les médias, ce sont les explications les plus importantes, mais il y en a une cinquième, qu’il faut aussi mettre sur la table. Présentons brièvement les quatre premières avant d’insister sur la cinquième.

1. Les médias sociaux et leur violence. Ce phénomène ne disparaîtra pas, il faut dompter la bête : par exemple, rapporter les excès à la police et équiper les politiciens ainsi que les administrations publiques pour qu’ils puissent mieux vivre avec cette réalité, tout en la combattant. Il y a urgence d’agir, les médias sociaux causent beaucoup de souffrance. Je crois aussi, comme Catherine Fournier⁠2, qu’une certaine introspection s’impose au sein des médias traditionnels. Difficile de calmer le jeu quand la politique est couverte comme un match de hockey, sur le ton du spectacle.

2. Les villes sont devenues de vrais gouvernements de proximité, leurs tâches sont de plus en plus complexes, les occasions d’affrontements politiques de plus en plus nombreuses : oui, les conseils municipaux sont devenus des parlements. La gouvernance municipale, elle, est restée au siècle passé, ce qui rend la vie politique beaucoup plus difficile qu’aux autres ordres de gouvernement. Lire ceci pour plus de détails : « Qui est malade, le maire ou la démocratie municipale3 ? ».

3. Les crises (climatiques et autres) se multiplient et les villes sont constamment au front. Cela laisse des traces chez les élus, ils doivent être mieux soutenus. Voir cette chronique écrite à la suite de la démission de la mairesse de Chapais : « La souffrance du chef » ⁠4.

4. Les villes ont vu leurs responsabilités exploser : on leur demande de se mêler de tout, mais leur fiscalité reste la même. Résultats : les ressources à leur disposition ne correspondent plus aux défis qu’elles doivent relever. Pourquoi rester en politique si on n’a pas les moyens de réaliser les projets qui nous ont motivé à y entrer ?

Cinquième et dernière explication. On va m’accuser de manquer d’empathie (je crois avoir démontré que j’en ai), mais je l’affirme quand même : certaines personnes démissionnent parce qu’elles n’ont pas pris la politique municipale au sérieux.

D’abord, un rappel : j’ai été maire de Gatineau de 2013 à 2021. Cette expérience a bien sûr alimenté ma réflexion.

On ne peut plus s’improviser maire. La Ville de Terrebonne a un budget qui dépasse celui du ministère du Tourisme. Le budget et le nombre d’employés de la Ville de Gatineau dépassent ceux d’au moins sept ministères à Québec. Drummondville, comme toutes les municipalités, a un champ d’action plus vaste que celui de n’importe quel ministère : les élus municipaux s’occupent de développement social, de gestion de crise, de développement économique, de culture, de sport, de loisirs, de logement, d’itinérance et, oui, de nids-de-poule, de canalisations et de parcs à chiens. Toutes les municipalités, petites ou grandes, ont des budgets qui se comptent en millions. C’est beaucoup plus difficile d’être maire d’une grande ville que d’occuper le poste de bien des ministres. C’est beaucoup plus difficile d’être maire d’une très petite municipalité que d’être député. Corollaire : devenir maire sans avoir d’expérience politique, c’est possible, mais périlleux.

Prendre la politique au sérieux, c’est aussi reconnaître qu’elle est « l’institutionnalisation du conflit » : on prend un conflit et, au lieu de le régler par la force, on le fait entrer dans un processus politique qui produit une décision. La politique est donc, par définition, un affrontement. Elle est toujours difficile, même quand tout le monde se comporte bien.

Finalement, et c’est le plus important, prendre la politique au sérieux, c’est reconnaître qu’elle n’est ni une affaire de personnalité, ni un objectif de vie, ni un rêve personnel, c’est un outil. Un outil pour aider sa communauté.

Quand un élu fait campagne sur sa personnalité, il va de soi que, par la suite, il considère toute forme d’opposition comme une attaque personnelle. Quand un élu fait campagne non pas pour un programme, mais contre quelqu’un, le soir de la victoire est le seul soir intéressant. Après, c’est une épreuve. Toute politique qui se conjugue au « je » est stérile et risque de se retourner contre son auteur.

Pour s’épanouir en politique, il faut porter une cause autre que la sienne propre. Quand on a préparé un programme sérieux et mobilisé notre communauté, quand notre vision d’avenir pour notre ville est construite et défendue par des citoyens engagés, nous ne sommes jamais seuls : dès que les couteaux commencent à voler bas, des gens viennent à notre aide, car ils croient, eux aussi, aux idées que nous portons.

Je le répète, les médias sociaux, la multiplication des crises, la gouvernance et la situation financière des villes expliquent, d’abord et avant tout, l’inquiétante croissance des démissions chez les élus. Mais un certain mépris de la politique en général et de la politique municipale en particulier fait aussi partie du problème.

Chaque élu qui vit des difficultés n’est pas nécessairement victime d’un système, il est parfois victime de son propre manque de respect pour les exigences minimales d’un engagement politique sérieux.

Aux livres, citoyens !

Toutes les personnes qui veulent comprendre le monde municipal devraient se procurer le tout nouveau Dictionnaire politique de la scène municipale québécoise, publié aux Presses de l’Université Laval. Écrit par une cinquantaine d’experts, il s’adresse au grand public et couvre presque tous les aspects de la vie municipale. Manuel de référence en devenir !

Dictionnaire politique de la scène municipale québécoise

Dictionnaire politique de la scène municipale québécoise

Presses de l’Université Laval

506 pages

1. Lisez Un article publié par Public Sénat 2. Lisez la lettre « Sommes-nous prêts pour une nouvelle culture politique ? » de Catherine Fournier 3. Lisez la chronique « Qui est malade, le maire ou la démocratie municipale ? » 4. Lisez la chronique « La souffrance du chef » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue