Les grands festivals gratuits à Montréal comme le Festival international de jazz et les Francos sont-ils en péril ?

La présidente sports et divertissement du Groupe CH, France Margaret Bélanger, marque une pause avant de répondre à cette question plutôt directe.

« J’ai une nuance à apporter. Ils sont en péril si on n’adapte pas le modèle [d’affaires]. […] Il faut qu’on trouve de nouvelles sources de revenus », dit Mme Bélanger en entrevue avec La Presse.

Depuis que le Groupe Juste pour rire s’est protégé de ses créanciers début mars, le débat est (re)lancé à savoir si nos grands festivals gratuits à Montréal sont menacés en raison de leurs défis financiers.

J’ai voulu savoir ce qu’en pensait l’une des personnes les plus influentes – sinon la personne la plus influente – dans ce dossier à Montréal, celle dont l’avis pèsera lourd : France Margaret Bélanger, présidente, sports et divertissement du Groupe CH, qui gère trois des quatre festivals gratuits les plus importants de la métropole (le Jazz, les Francos et Montréal en lumière).

Ces trois grands festivals gratuits existeront-ils encore dans 10 ans ?

« C’est sûr [que oui] », répond France Margaret Bélanger. « Il faut qu’on trouve une façon pour que les grands festivals demeurent à Montréal à long terme, dit-elle. Le Jazz fêtera ses 44 ans cet été, les Francos existent depuis 35 ans, Montréal en lumière depuis 25 ans. C’est sûr qu’on veut continuer ça. Mais il faut être créatif. Il va falloir que tout le monde ensemble, on se fasse confiance et qu’on voie comment le modèle [d’affaires peut] évoluer un peu. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

La présidente, sports et divertissement du Groupe CH, France Margaret Bélanger

On croit en ces festivals. C’est une grande fierté pour nous d’être derrière ces grands festivals qui définissent l’ADN de Montréal l’été, avec d’autres comme Présence autochtone. On croit absolument à la gratuité. […] Il faut trouver, tout le monde ensemble, une solution pour assurer la pérennité de nos festivals gratuits.

France Margaret Bélanger, présidente sports et divertissement du Groupe CH

« Spectra est important pour Montréal, et c’est important pour nous d’assurer la pérennité des festivals », avait d’ailleurs promis Geoff Molson en 2013 quand le Groupe CH avait acheté l’entreprise.

Une situation différente de celle de Juste pour rire

Le Jazz et les Francos sont-ils menacés comme le Festival Juste pour rire, qui n’aura pas lieu l’été prochain en raison des problèmes financiers du Groupe Juste pour rire ?

« Non », répond France Margaret Bélanger.

Le Groupe CH, qui détient 25 % du Groupe Juste pour rire (Bell en détient 26 % et le groupe américain Creative Artists Agency, 49 %) depuis 2019, n’a pas voulu commenter le dossier du Groupe Juste pour rire. Mme Bélanger précise que le dossier est devant les tribunaux. Le Groupe JPR s’est protégé de ses créanciers début mars, et le tribunal vendra les actifs du Groupe JPR au plus offrant en mai.

L’annulation du festival Juste pour rire est une conséquence des déboires financiers du Groupe Juste pour rire. Ça ne veut pas dire que les festivals gratuits montréalais n’ont pas d’enjeux financiers. Mais à mon avis, on n’a pas à craindre un effet domino sur les autres grands festivals montréalais pilotés par Spectra/evenko.

Car au contraire du Groupe Juste pour rire, les finances de cette division divertissement du Groupe CH sont « solides », selon Mme Bélanger. Le Groupe CH possède 51 % de Spectra/evenko, le géant mondial du divertissement Live Nation en possède l’autre tranche de 49 %.

« Pour moi, c’est l’avantage d’avoir un grand groupe situé ici, au Québec, à Montréal, dit France Margaret Bélanger. C’est vrai qu’on a une certaine taille, qu’on est impliqués dans plusieurs festivals. J’invite à considérer que c’est un avantage parce qu’on est justement capables d’assumer plus de risques à cause de notre taille et de notre expertise. Quand la situation est plus difficile, on sera au rendez-vous, parce que le Groupe CH croit en ces évènements. »

Trois festivals avec un déficit accumulé

Le Groupe CH gère trois des quatre festivals gratuits les plus importants à Montréal. Ces festivals sont des organismes sans but lucratif (OSBL) avec contrat de gestion avec le Groupe CH.

Ces trois festivals – des OSBL – reçoivent des subventions des gouvernements. À titre d’exemple, le Festival de jazz reçoit environ 4 millions de dollars en subventions par année. Ces subventions représentent environ 20 % du budget d’un festival ; 80 % du budget provient des commandites, des ventes de billets pour les spectacles payants du festival (par exemple : un tiers des spectacles du Jazz sont des spectacles payants en salle), et des revenus autonomes sur le site (par exemple : boissons, nourriture, souvenirs).

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

En 2023, le Festival international de jazz a dégagé un léger excédent qui a diminué le déficit accumulé du festival.

Quand le Groupe CH a acheté Spectra en 2013, les trois festivals OSBL de Spectra avaient chacun un déficit accumulé au fil des ans. Depuis 10 ans, le Groupe CH est parvenu à diminuer le déficit accumulé de chacun des trois festivals.

En 2023, le Jazz a dégagé un léger excédent qui a diminué le déficit accumulé du festival, alors que les Francos ont connu une édition déficitaire qui a augmenté son déficit accumulé.

Des défis financiers

Les festivals gratuits montréalais sonnaient déjà l’alarme sur leur modèle d’affaires bien avant l’annulation du Festival Juste pour rire pour l’été prochain.

C’est un problème à la fois de dépenses et de revenus, explique France Margaret Bélanger.

Depuis 2019, les dépenses des grands festivals gratuits ont augmenté de 30 %, estime le Groupe CH.

Les revenus n’ont pas suivi le même rythme. Certes, les revenus des commanditaires et des ventes de billets de spectacles payants ont suivi l’inflation.

Mais les subventions des grands festivals comme le Jazz et les Francos sont souvent plafonnées (celle du Jazz est plafonnée depuis 2004).

Et les revenus autonomes sur le site ont diminué de façon importante. Pour le Jazz, ils sont passés de 19 % du budget total du festival en 2008 à 4 % en 2019, selon le Regroupement des évènements majeurs internationaux (RÉMI).

Il n’y a pas moins d’argent qui se brasse autour des festivals. Au lieu de le dépenser sur le site du festival, les festivaliers mangent et prennent un verre dans les commerces du Quartier des spectacles. Le Groupe CH n’a rien contre ça. Mais ça fait un trou dans le budget des festivals OSBL.

Les festivals sont ébranlés [sur le plan financier] parce que le modèle de la gratuité est difficile à soutenir. C’est gratuit pour le festivalier, mais il y a une structure de coûts importante.

France Margaret Bélanger, présidente sports et divertissement du Groupe CH

Il n’y a pas cinquante solutions. Ou bien les festivals trouvent de nouveaux revenus. Ou bien ils font des choix et réduisent leurs dépenses. Depuis quelques années, on applique la deuxième solution. L’an dernier, le Festival de jazz a duré 10 jours, comme à l’habitude. Mais le site ouvrait plus tard, à 17 h plutôt qu’à midi. Le nombre de spectacles est ainsi passé de 350 à 300.

Ce n’est pas la fin du monde. Le Festival de jazz a été un grand succès quand même. Mais ça donne une idée des choix à venir pour équilibrer le budget si on ne trouve pas de nouvelles sources de revenus.

Comment peut-on trouver de nouvelles sources de revenus ? On peut hausser certaines subventions, mais il y a aussi d’autres façons qui n’impliquent pas nécessairement de nouveaux fonds publics (par exemple : introduire une section VIP avec des billets payants, ce qui est actuellement interdit à la place des Festivals où les spectacles doivent être entièrement gratuits).

Le Groupe CH ne veut pas dire pour l’instant ce qu’il privilégie comme solutions. Sauf pour préciser qu’il faut les trouver avec l’ensemble des partenaires. « Pour voir comment on fait pour maintenir cette gratuité », dit France Margaret Bélanger.

C’est donc un dossier à suivre.

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