Maintenant que l’Ontario a aussi déposé son budget, jouons au sport préféré de notre premier ministre François Legault : comparons-nous avec l’Ontario.

Le déficit budgétaire du gouvernement provincial est beaucoup plus élevé au Québec qu’en Ontario. (Avertissement : ce n’est pas la fin du monde à court terme.)

En 2024-2025, le déficit prévu est beaucoup plus élevé en dollars (11 milliards au Québec, 9,8 milliards en Ontario). Et ce, même si l’Ontario est une plus grosse province.

Si on veut comparer les déficits des provinces, il faut prendre le déficit en pourcentage de la taille de l’économie (déficit en pourcentage du PIB). Pour bien faire les choses, il faut aussi soustraire du déficit du Québec les versements de 2,2 milliards au Fonds des générations parce que les autres provinces n’ont pas de telle réserve visant à réduire le niveau d’endettement.

Ces versements exclus, le gouvernement du Québec a un déficit de 8,8 milliards en 2024-2025. Ou 1,5 % de son PIB.

Ainsi calculé, sur neuf provinces canadiennes, le Québec arrive au deuxième rang pour les pires déficits avec 1,5 % du PIB⁠1. Seule la Colombie-Britannique (1,9 % du PIB) fait moins bonne figure. L’Ontario a un déficit équivalent à 0,9 % de son PIB.

Mais voilà, quand on lit les petits caractères, la moitié du déficit en Colombie-Britannique est attribuable à une réserve de contingence pour les urgences. La plupart des provinces prévoient des sommes pour des dépenses imprévues (une provision pour éventualités). Par exemple, le Québec et l’Ontario prévoient chacun 1,5 milliard en 2024-2025. Mais la Colombie-Britannique prévoit 3,9 milliards, entre autres à cause des dépenses liées aux changements climatiques (ex. : les incendies de forêt). La province dépense généralement presque la totalité de cette réserve pour imprévus⁠2.

Si on exclut aussi ces provisions pour imprévus et qu’on calcule uniquement le déficit lié aux opérations, le Québec a le plus important déficit parmi les neuf provinces qui ont présenté leur budget pour le prochain exercice.

Il est équivalent à 1,2 % de son PIB, contre 0,7 % pour l’Ontario, 1,0 % pour la Colombie-Britannique et 0,8 % pour la Nouvelle-Écosse. L’Alberta a un surplus équivalent à 0,5 % de son PIB.

Et le fédéral ? Le gouvernement Trudeau doit présenter son budget le 16 avril. Lors de la mise à jour de l’automne, Ottawa prévoyait un déficit équivalent à 1,3 % du PIB en 2024-2025. Ce chiffre va augmenter le 16 avril.

En soi, ce n’est pas la fin du monde à court terme. Le gouvernement Legault a choisi de réinvestir dans les services publics, en santé et en éducation, entre autres en raison des ententes avec le secteur public. C’était la bonne chose à faire. Quitte à augmenter un peu le déficit à court terme.

La cote de crédit du Québec reste solide. Certes, les agences de notation ont vu, comme tout le monde, que nos finances publiques seront davantage sous pression. Mais ils n’ont pas mis la cote de crédit du Québec en révision (une sorte d’avertissement avant une possible décote), une nuance importante.

Dans sa note au sujet du budget du ministre Eric Girard, l’agence Moody’s indiquait un « constat négatif de crédit », et l’agence DBRS jugeait que les perspectives budgétaires s’étaient « clairement détériorées ».

L’Ontario a présenté son budget la semaine dernière, et les deux agences de crédit en sont arrivées aux mêmes conclusions. Pour l’Ontario, Moody’s indiquait un « constat négatif de crédit », et DBRS jugeait que les perspectives budgétaires s’étaient « détériorées ». Il y a donc lieu de relativiser. (Par ailleurs, le Québec a une meilleure cote de crédit que l’Ontario chez Moody’s. C’est le contraire chez DBRS.)

À court terme, on peut donc respirer par le nez.

À long terme, c’est plus compliqué. Le portrait est plus sombre.

Pour revenir à l’équilibre budgétaire en 2029-2030, le Québec remet plusieurs décisions après les élections de 2026. À compter de 2026-2027, il doit trouver des façons de réduire un déficit structurel d’environ 4 milliards par an.

Dans ce contexte, les baisses d’impôt accordées l’an dernier, qui coûteront 1,7 milliard au trésor public cette année, font mal.

Si on avait pris l’argent des baisses d’impôt pour payer les dépenses⁠3, le déficit lié aux opérations (hors fonds de prévoyance) du Québec aurait été semblable (0,9 % du PIB) à ceux de la Colombie-Britannique (1,0 % du PIB) et de l’Ontario (0,7 % du PIB).

Parce que le gouvernement Legault a choisi de baisser les impôts, il se retrouve aujourd’hui avec un déficit structurel à moyen terme. Même quand l’économie prendra du mieux, Québec dépensera environ 4 milliards par an de plus que ses revenus.

À long terme, il n’y a que trois solutions : 1) hausser les impôts, ce qui ne fait jamais remporter de concours de popularité auprès de l’électorat ; 2) diminuer la croissance des dépenses, ce qui a presque toujours un impact sur la qualité des services publics ; 3) hausser les déficits budgétaires et notre niveau d’endettement.

Cette dernière option n’a rien de tragique à court terme, mais on ne peut pas jouer à ce petit jeu indéfiniment. Plus on y joue longtemps, plus c’est risqué.

Il n’y a pas de formule magique. Tôt ou tard, Québec devra prendre des décisions plus difficiles sur le plan politique pour équilibrer son budget. Soit il hausse les impôts, soit il réduit la croissance des dépenses. Ou une combinaison des deux.

1. Lisez l’analyse « Récession : cachez ce mot que je ne saurais voir… », de Gérald Fillion (Radio-Canada)

2. En 2022-2023, la Colombie-Britannique a dépensé 4,3 milliards de sa réserve pour imprévus de 4,8 milliards. Cette année-là, la province avait mis 2 milliards de côté pour des imprévus liés à la pandémie et 2,8 milliards pour d’autres imprévus, pour un total de 4,8 milliards.

3. Québec a financé ses baisses d’impôt en diminuant les versements au Fonds des générations. Mais il aurait aussi pu prendre cet argent et l’affecter à son budget (ce qui aurait réduit le déficit) au lieu d’offrir des baisses d’impôt.

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