Je suis Montréalaise. J’aime ma ville. Je la trouve attachante. Parfois même carrément belle, d’une beauté imparfaite, mais pleine de charme.

Depuis la pandémie, elle est, je l’admets, plus difficile à aimer : abandonnée de plusieurs de ses habitants, pleine de trous, mal entretenue, défigurée par les chantiers, son patrimoine en péril, sale et négligée. En particulier, comme chaque année, au début du printemps. Son âme est poquée, mais je sais que malgré ceux qui ne l’aiment pas à Québec, ou qui l’aiment mal à l’hôtel de ville, elle survivra.

Bref, si je l’aime, c’est qu’elle demeure à échelle humaine. Ses quartiers sont des villages uniques, vibrants. Son architecture, malgré des pertes patrimoniales et des constructions discutables, se tient. Le centre-ville est juste assez électrique, le mont Royal lui confère son caractère si particulier. Les populations diversifiées y palpitent côte à côte, et même si le français y est en constant recul, elle est encore inimitable.

J’arpente Montréal, m’en nourris les yeux, car son intégrité et son unicité pourraient changer rapidement.

La Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) veut, dans le contexte pressant de la crise du logement, densifier Montréal et ses banlieues. Elle propose d’exiger une densité de 450 logements par hectare au centre-ville, contre 150 jusqu’à présent.

Pour les quartiers de banlieue dotés d’une gare de REM, le seuil passerait de 80 à 200 logements. L’objectif est de tripler, voire quintupler la densification de la grande région métropolitaine.

Concrètement, le nombre de tours d’habitation explosera le long de la ligne orange, et en banlieue. Une intéressante modélisation effectuée par la Ville montre une trame urbaine transfigurée, ses quartiers résidentiels piqués de tours écrasant les triplex. Ce plan d’aménagement doit être adopté dès l’an prochain, et les municipalités du Grand Montréal devront s’y conformer.

Oui, il faut densifier pour concentrer les services, limiter l’empiétement sur le territoire. On doit et on peut développer de nouveaux quartiers à l’intérieur de la ville. Pensons à Griffintown, qui après des débuts anarchiques est maintenant un quartier à hauteur raisonnable, homogène, relativement agréable. On peut, dans les quartiers résidentiels de Montréal, densifier ou bâtir de nouvelles constructions de quatre, cinq ou six étages qui n’écraseraient pas le bâti actuel. Une densification douce, en quelque sorte. Les tours le long de la ligne orange suscitent l’inquiétude, à juste titre.

Je suis pragmatique. La crise du logement et la pression de l’immigration sont criantes. Il faut un toit pour chacun. Il faudra manifestement construire en hauteur, mais aussi explorer d’autres pistes d’aménagement. On pourrait également remettre en question la vision d’un Canada à 100 millions d’habitants que certains ont mis de l’avant à Ottawa. Cette vision démographique délirante a des implications jusque dans les infrastructures. Les villes, premières au front, ont-elles été impliquées ? On ne parle pas ici de la croissance optimiste d’une ville, mais de transfiguration majeure engendrée par une volonté politique.

Notre façon d’occuper l’espace, en Amérique du Nord, a été traditionnellement marquée par l’abondance. Par l’automobile, bien sûr, qui a conduit à l’expansion horizontale des villes. Mais d’abord, par la générosité de l’espace où, depuis longtemps, les villages s’étalent – pensons aux Éboulements, dans Charlevoix.

Cette organisation spatiale si singulière fait le caractère distinctif de notre habitat, sa personnalité, son charme particulier. Peut-on en tenir compte ? L’horizontalité n’a jamais empêché la densité : le Plateau Mont-Royal, avec ses plex à trois étages, a longtemps été l’un des quartiers les plus densément peuplés au pays.

Il faudra, dans cette velléité politique de densification, protéger l’aspect distinctif de nos villes. La manière cool et relax dont les gens occupent leur espace. Car les villes sont aussi les humains qui les animent. Ici, notre échelle est encore humaine, et originale.

On s’apprête à vivre – et pas qu’à Montréal – un virage topographique, social et démographique majeur. En a-t-on discuté ? Nous en a-t-on expliqué les implications ? Quelle est la vision ? Comment envisage-t-on le développement urbanistique de nos habitats ? Sommes-nous soudainement tombés dans un Far West immobilier, où le nombre de portes l’emporte sur le bien-être durable, la vision cohérente et le sentiment d’appartenance à un lieu ?

La politique du fait accompli est du vieil urbanisme, et de la politique de bureaucrates.

L’Ordre des urbanistes du Québec se questionne à juste titre sur ces enjeux d’expansion verticale. Densifions. Mais comment ? Avec des tours de 25 étages entre deux duplex de Villeray ? Ou en ajoutant quelques étages au bâti existant ? Comment les quartiers et municipalités les plus riches accueilleront-ils le plan de la CMM ? Se dirige-t-on vers une ségrégation accrue basée sur la richesse ?

Nous avons besoin d’une discussion. La culpabilisation, l’idéologie et la précipitation ne font pas un plan d’urbanisme. Les Montréalais sont relax, mais pas stupides…

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