« Tant au fédéral qu’au provincial, l’Outaouais n’aura pas connu de grandes figures politiques durant les 50 dernières années. La plupart des députés se sont surtout préoccupés de problèmes locaux […] On s’aperçoit qu’il manque à cette dernière [l’Outaouais] un solide sentiment d’appartenance régionale et, par conséquent, le sens de ses propres intérêts politiques.1 »

Ce constat brutal sur la famélique contribution politique de ma région à la construction du Québec m’a longtemps fait mal. Je souffrais d’autant plus que ce constat avait été fait dans le seul livre exhaustif sur l’histoire de l’Outaouais, écrit par des professeurs de l’Université d’Ottawa, faute de ressources suffisantes de notre côté de la rivière. Quand les politiciens manquent d’envergure, les régions manquent de moyens.

Benoît Pelletier aura été le premier politicien de notre histoire récente à commencer à changer les choses.

En 2003, quand il a accédé au Conseil des ministres à Québec, sa classe, son intelligence, les valeurs qu’il défendait et sa prestance auront permis à l’Outaouais, à travers lui, d’enfin jouer un rôle important dans certains de nos débats nationaux⁠2.

Du rapprochement du Québec et des communautés acadiennes et francophones hors Québec à l’obtention d’un représentant permanent du Québec au sein de la délégation canadienne à l’UNESCO, en passant par la création du Conseil de la fédération et du Centre de la francophonie des Amériques : M. Pelletier aura fourni sa part d’efforts pour faire rayonner le Québec.

Avant, pendant et après son passage en politique, il aura également beaucoup contribué à penser le Québec. Sa vision du fédéralisme asymétrique, sa dénonciation du déséquilibre fiscal, sa volonté d’abolir la monarchie, son désir de voir le Québec prendre sa place sur la scène internationale, sa défense de la laïcité à la québécoise, son intérêt pour l’adoption d’une constitution québécoise, sa passion pour la langue française et j’en passe, faisaient de lui un bâtisseur du Québec.

Né à Québec, M. Pelletier insistait pour dire qu’il « avait choisi » l’Outaouais. Il y avait installé sa famille, il y a fait sa vie professionnelle et, après la politique, il a continué à contribuer à défendre sa région d’adoption. Pierre Bourgault disait qu’on n’est pas d’où l’on vient, on est d’où l’on est rendu.

Benoît Pelletier était un Outaouais. Il ne nous donnait pas l’impression de défendre le gouvernement du Québec en Outaouais, mais bien de défendre l’Outaouais à Québec.

Il était d’ailleurs assez peu partisan. On le sentait député de tout le monde, représentant de l’Outaouais au complet. Quand j’ai été élu maire de Gatineau, même si nous n’étions pas dans la même famille politique, il a tenu à me dire que si un jour j’avais besoin de son aide, il serait toujours au service de notre ville.

Petite anecdote. En 2010, il n’était plus ministre depuis à peine deux ans, il avait une notoriété considérable et il ne manquait pas de mandats d’envergure. Une mini controverse troublait la région. Le distributeur de matelas Dormez-vous ? utilisait le nom « Dormez-vous ? » partout au Québec, sauf en Outaouais. Chez nous, l’entreprise portait le même nom qu’au Canada anglais : « Sleep Country ». En tant que conseiller municipal, j’avais invité M. Pelletier à cosigner une lettre que nous avions adressée ensemble à la fondatrice et présidente de Sleep Country Canada pour dénoncer la situation. Il avait tenu à mettre directement sa griffe sur la lettre. En voici un extrait :

« Vous avez évoqué, afin de justifier votre décision, la proximité de l’Outaouais avec Ottawa. Or, c’est précisément en raison de cette proximité que le choix inverse aurait été mieux avisé. Bien qu’elle fasse partie de la région de la capitale nationale, Gatineau est une ville qui tient à son visage français. Il est primordial pour nous de préserver cette caractéristique fondamentale. Nous vous invitons donc, en témoignage de respect de la réalité propre à l’Outaouais, à recourir à la raison sociale française “Dormez-vous ?” à Gatineau, comme vous le faites partout ailleurs au Québec. »

Sur le fond comme sur la forme, cette lettre portait la signature de M. Pelletier. Des arguments clairs, une certaine fermeté, mais des mots respectueux qui préservent avant tout la capacité de dialoguer.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Benoît Pelletier, à l’Assemblée nationale en 2007

Depuis 2018, le Parti libéral du Québec (PLQ) a perdu quatre des cinq circonscriptions de l’Outaouais, des sièges qu’il occupait depuis 37 ans. Je suis convaincu que cet effondrement vient en grande partie de l’oubli, par le PLQ actuel, de l’héritage québécois de Benoît Pelletier.

Par ailleurs, depuis une décennie, l’Outaouais et Gatineau prennent leur place comme jamais auparavant. Gatineau n’agit plus comme une banlieue d’Ottawa, mais comme la métropole de l’ouest du Québec. En grande partie grâce à Benoît Pelletier, l’Outaouais a découvert qu’il pouvait jouer un rôle politique qui dépasse ses frontières. Si Histoire de l’Outaouais était écrite aujourd’hui, elle serait un peu plus synonyme de fierté. Merci, Monsieur Pelletier.

1. Histoire de l’Outaouais, sous la direction de Chad Gaffield, 1994, Institut québécois de recherche sur la culture. P. 744.

2. Lisez « L’ex-ministre Benoît Pelletier s’éteint à l’âge de 64 ans »