J’ai visité récemment la succursale de la Société des alcools du Québec (SAQ) de mon quartier. À la recherche de malbec et de pinot noir, j’ai surtout trouvé des tracts et de la propagande syndicale. Les employés de la SAQ cherchent de meilleures conditions de travail et ont conclu que les clients accepteraient volontiers de parcourir les allées du magasin comme s’ils se trouvaient dans un war room de la CSN.

Je suis favorable à la liberté d’expression tout comme à celle de manifester. Je trouverais possiblement sympathique que les employés portent un macaron avec un slogan. Mais tapisser chaque colonne et plusieurs présentoirs dépasse les limites raisonnables. Jamais une société privée ne tolérerait que des employés traitent les lieux de travail si cavalièrement. Et, dans le cas contraire, les clients pourraient se déplacer vers un concurrent, ce qui est malheureusement impossible dans le commerce du vin au Québec.

Près de la caisse se trouvait une photo du président et chef de la direction de la SAQ avec son salaire en surbrillance. L’argumentaire simpliste habituel s’y trouvait griffonné – comme il gagne une somme pharaonique (525 000 $ pour diriger une entreprise avec 7000 employés et des revenus annuels de 4 milliards), la SAQ devrait accepter illico les demandes syndicales.

Au Québec, plus que partout ailleurs, me semble-t-il, les émoluments de dirigeants font l’objet d’une obsession malsaine. Et pas seulement de la part des syndicats.

Des équipes « d’enquête » de nos médias s’y penchent fréquemment. Un cocktail de voyeurisme économique et d’envie qui permet à tout un chacun de se déclarer expert en rémunération.

Que le PDG de la SAQ gagnerait plus du double dans le secteur privé est largement ignoré. Tout comme le fait que les salaires importants d’autres hauts dirigeants québécois sont inspirés de comparables. Les syndicats, d’ailleurs, sont souvent les premiers à souligner les avancées d’un groupe de travailleurs – même non québécois – pour justifier des gains souhaités pour leurs membres.

Les Québécois semblent vivre harmonieusement avec des salaires élevés pour des artistes (surtout de l’humour) et des athlètes d’ici. Ceux qui les divertissent peuvent gagner quelques millions, mais gare à ceux qui commercent dans les fruits et légumes, les services financiers ou la technologie. Et, surtout, gare à ceux qui ont des postes de direction dans le secteur public. Les pauvres tombent dans la catégorie du « je connais… » – comme dans « je connais quelqu’un qui pourrait faire la job pour 50 % du salaire ».

Diriger une entreprise qui appartient à l’État comporte un lot de défis uniques. Quand les électeurs changent le gouvernement, les sociétés d’État doivent souvent composer avec de nouvelles « orientations ». Un peu comme si l’actionnaire de contrôle d’une entreprise changeait régulièrement.

De plus, une société d’État est habituellement confiée à un ministre « responsable » avec qui interagit fréquemment le PDG – la compétence de ces ministres, disons-le charitablement, « varie ». À ne pas négliger non plus le fait que le gouvernement prendra probablement à son compte les bons coups du PDG, mais le lancera sous l’autobus sans l’ombre d’un remords pour le moindre faux pas.

Finalement, chaque centime dépensé sera scruté à la loupe par les partis de l’opposition et les médias. Une réception pour accueillir un groupe européen susceptible de signer un contrat important ? Préférable de la tenir dans une salle de conférence anonyme d’un immeuble de catégorie C que dans un hôtel du centre-ville.

Le gouvernement cherche présentement un PDG pour Santé Québec, cette agence qui chapeautera toutes les activités du ministère de la Santé. Le Secrétariat aux emplois supérieurs a publié un avis de recrutement en début d’année que même les chômeurs auront jeté au panier. Les impairs de notre système de santé ne s’y trouvent pas déclinés (délais d’attente démesurés partout dans le réseau, pénurie de personnel qualifié, guerres parfois fratricides entre professionnels pour conserver des acquis, infrastructures vétustes dans certaines régions, abondance démesurée de personnel administratif), mais difficile de ne pas y songer en lisant la longue liste de responsabilités se rattachant au poste.

Le salaire de ce futur PDG a déjà fait couler beaucoup d’encre (jusqu’à 650 000 $ avec bonification). Tout comme l’allocation de voiture et les congés rémunérés. Pourtant, n’importe quel PDG d’une entreprise commerciale avec 125 000 employés gagnerait probablement de 10 à 20 fois le salaire proposé pour celui de Santé Québec. Oui, je sais, Couche-Tard et American Airlines n’ont pas les mêmes objectifs. Mais avec les insuccès à répétition de notre réseau de santé, avons-nous le luxe d’être pingres ? Le ministre de la Santé a admis souhaiter recruter un top gun – est-ce utile de rappeler que Tom Cruise ne pilotait pas pour l’armée de l’air du Danemark ni pour celle de l’Estonie ?

On a appris récemment que plusieurs personnes s’intéressent à l’emploi avec Santé Québec. Tant mieux – les Québécois souhaitent tous que le gouvernement trouve la perle rare. Mais le bassin de candidats aurait été plus vaste et nos chances de succès améliorées si on avait offert des conditions en adéquation avec le poste. Même la CSN sait qu’avec d’excellentes conditions de travail, on attire de meilleurs candidats.

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