Ah, la Suède et la Finlande ! S’il y a des pays qu’on brandit souvent comme modèles au Québec, c’est bien ceux-là. Et en matière de transition de genre pour les adolescents, ce qui s’y passe peut alimenter la conversation qui se déroule ici sur cette question.

Or, au cours des dernières années, les deux nations nordiques ont reculé sur la délicate question des interventions médicales auprès des ados qui veulent changer de genre. Celles-ci y sont désormais beaucoup plus difficiles à obtenir pour les mineurs.

L’Angleterre a effectué un virage similaire.

Plusieurs lecteurs m’ont souligné ces réalités à la suite de mes chroniques récentes sur les trans. J’y expliquais ce qui se passe dans les cliniques médicales du Québec, en plus de donner la parole à une personne trans non binaire⁠1.

Chers lecteurs, vous avez raison. Il est vrai que ce qui se déroule actuellement dans ces pays jette un éclairage intéressant, voire essentiel, sur le débat qui fait rage ici depuis que le Parti conservateur du Canada a adopté une motion visant à interdire les interventions médicales chez les mineurs qui veulent changer de genre.

D’où cette nouvelle chronique.

Le cas de la Suède est particulièrement intéressant parce qu’il s’agit du premier pays au monde à avoir reconnu officiellement les personnes trans, en 1972. Difficile de plaider qu’on y est en territoire transphobe.

Pourtant, en décembre 2022, de nouvelles lignes directrices sont venues considérablement resserrer les critères permettant d’obtenir des interventions médicales pour les transitions de genre chez les mineurs. Ça inclut les fameux bloqueurs d’hormones, ces médicaments qui retardent la puberté. Ils sont donnés chez nous pour « gagner du temps » et diminuer l’angoisse des ados qui voient avec détresse leur corps changer.

Le Socialstyrelsen, en quelque sorte l’équivalent suédois de notre Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS), a statué que ces interventions chez des mineurs ne devraient être offertes que dans un contexte de recherche, ou alors à des adolescents qui répondent à des critères très stricts.

Parmi ces critères : l’existence d’une inéquation entre le genre assigné et le genre ressenti (qu’on appelle « dysphorie de genre ») présente dès l’enfance, une « détresse claire » et l’« absence de facteurs qui compliquent le diagnostic ».

Ces recommandations n’ont pas force de loi, mais servent de guide aux médecins qui exercent auprès des adolescents.

Les médecins québécois sont loin de donner des bloqueurs d’hormones au premier adolescent qui en réclame. Une longue investigation, notamment psychologique, est réalisée au préalable. Mais plusieurs spécialistes de la santé me confirment que les critères suédois sont plus stricts que ceux utilisés ici.

Pourquoi la Suède a-t-elle changé de cap à ce sujet ? Les raisons sont exposées dans un document dont il existe une version anglaise⁠2.

Là-bas, on a assisté à une augmentation des demandes de changement de genre, en particulier chez les 13-17 ans. Autre fait intrigant : les individus assignés filles à la naissance sont désormais beaucoup plus nombreux que ceux assignés garçons à vouloir changer de genre. Cela se vérifie ailleurs, notamment au Québec.

La Suède affirme vouloir bien comprendre les causes de ces phénomènes avant de procéder à des interventions médicales chez les mineurs.

Comme je l’écrivais dans ma chronique précédente, les interventions médicales visant à modifier le genre d’une personne n’ont rien de banal. Elles comportent des effets secondaires à la fois physiques et psychologiques.

Des inquiétudes sur le fait que ces bloqueurs pourraient ralentir la minéralisation des os, par exemple, ont été soulevées.

De façon générale, les autorités suédoises concluent que « les risques liés aux bloqueurs de puberté et aux traitements d’affirmation du genre sont susceptibles de l’emporter sur les avantages escomptés ».

Elles reconnaissent néanmoins que « le traitement suppresseur de la puberté peut, dans certains cas, être considéré comme très bénéfique » pour certains mineurs.

Pour autant que je puisse en juger d’ici, le virage suédois me semble le résultat d’une réelle analyse indépendante et non de pressions exercées par des groupes de droite.

Et chez nous ?

Il est facile de regarder ce qui se passe en Suède et dans une poignée d’autres pays et de conclure que les pratiques d’ici sont dangereuses et irresponsables.

La réalité est beaucoup plus complexe.

Les professionnels québécois ne basent pas leurs pratiques sur du vent, mais sur des lignes directrices publiées par l’Association mondiale des professionnels en santé transgenre. Ces guides ne sont pas précisément élaborés sur un coin de table.

La dernière version, publiée l’an dernier, est signée par 139 chercheurs et professionnels de la santé provenant de 16 pays⁠3. Après avoir épluché des centaines d’études, ces scientifiques concluent que les traitements comme les bloqueurs d’hormones devraient être offerts aux adolescents selon des critères qui sont moins stricts que ceux des autorités suédoises, finlandaises ou britanniques.

Que se passe-t-il ? En clair, on est face à deux interprétations différentes d’une littérature scientifique encore en émergence sur les risques et les bienfaits des interventions médicales chez les adolescents.

Tout le monde (de bonne foi) convient que ces interventions peuvent considérablement aider certains jeunes. Tout le monde convient aussi qu’elles comportent des risques. Ce qui diffère, c’est l’évaluation de la balance entre les deux et la question de savoir à qui réserver les traitements.

En Suède, par exemple, on a décidé de ne traiter médicalement que les adolescents qui ont manifesté une dysphorie de genre dès l’enfance. Mais ce critère est vivement contesté au Québec.

« Il peut y avoir des jeunes qui le savent depuis qu’ils sont tout petits, mais qui ne l’ont jamais dit – soit parce qu’ils n’avaient pas les mots pour le dire, soit parce qu’ils se sont fait rabrouer, soit parce qu’ils avaient la liberté d’adopter des comportements atypiques et que ce n’était pas un problème pour eux avant l’adolescence », illustre Annie Pullen Sansfaçon, titulaire de la Chaire de recherche sur les enfants transgenres et leurs familles.

Entre les risques d’intervenir et les risques de ne pas le faire, nous sommes donc devant un débat scientifique complexe qui reste à trancher. La seule chose qui devrait nous guider là-dedans, c’est le bien-être des jeunes. Pas le désir d’avoir raison.

1. Lisez notre dossier « La vérité sur les transitions médicales » 2. Consultez les lignes directrices du Socialstyrelsen 3. Consultez les lignes directrices de l’Association mondiale des professionnels en santé transgenre Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue