Invité par le Secrétaire général de l’ONU à participer à New York au Sommet sur l’ambition climatique cette semaine, François Legault n’allait pas manquer l’occasion de vanter les émissions de gaz à effet de serre relativement faibles du Québec à l’échelle de l’Amérique du Nord.

Si les émissions du Québec sont effectivement sensiblement plus modérées qu’ailleurs, c’est principalement du fait du développement de son potentiel hydroélectrique. Or, l’histoire de l’hydroélectricité québécoise depuis le XXe siècle n’est pas matière à se pavaner aux Nations unies. Bien au contraire, il s’agit d’un processus de spoliation des territoires submergés par d’immenses réservoirs, caractérisé par des violences racistes institutionnalisées bien documentées envers les peuples autochtones, pour lesquelles plusieurs communautés réclament depuis longtemps la réparation1.

Le territoire est au cœur de l’identité culturelle et spirituelle des Autochtones. Pour eux, il n’appartient à personne : nous en faisons partie. La terre est imprégnée de l’histoire de leurs peuples, de leurs traditions transmises de génération en génération et des enseignements qui façonnent leurs cultures. C’est grâce à elle s’ils peuvent encore pratiquer leurs traditions culturelles et maintenir leur identité en tant qu’Innu, Anishnabe, Abenaki, Mi’kmaq, Atikamekw Nehirowisiw, Wendat, Naskapi, Wolastoqiyik, Kanien’kehà:ka, Inuit ou Eeyou.

Parmi les victimes des barrages qui ont inondé de vastes pans de son écosystème, Atiku, le caribou, occupe une place fondamentale dans l’identité innue. Symbole des résistances autochtones à la destruction du territoire, il a fait vivre les Innus durant des millénaires ; il les a nourris, vêtus, guéris. La peau de caribou utilisée pour la fabrication de leur teueikan, le tambour innu, donne aux Innus accès au monde des esprits – ce qui leur permet aussi de perpétuer leur mode de vie. Cette peau servait également à fabriquer les raquettes, donnant à l’Innu sa liberté et son autonomie pour se déplacer sur son territoire. La disparition du caribou constituerait la perte d’une partie intégrante de leur identité culturelle et spirituelle. Tant qu’il n’existera pas de plan crédible pour préserver le caribou et son écosystème, les politiques gouvernementales d’aménagement du territoire contribueront à l’assimilation des Innus.

Alors que François Legault nous appelait la semaine dernière à nous « préparer » à de nouveaux projets de barrage2, rappelons que le Québec n’a pas besoin de nouveaux barrages pour subvenir à ses besoins futurs. D’abord, il a perdu l’an dernier 49 % du total de son énergie produite et transformée3. Du point de vue financier, la chute des coûts de l’énergie solaire et éolienne4, ainsi que le développement des systèmes de circuits courts, rendent les mégaprojets de barrages hydroélectriques de moins en moins compétitifs dans l’optique d’atteindre l’augmentation projetée par Hydro-Québec d’un tiers de sa production d’ici à 20505.

Dans le livre La nature de l’injustice, la chercheuse Jen Gobby dénonce que le Plan pour une économie verte du gouvernement du Québec ne mentionne nulle part les droits des nations autochtones. Au palier fédéral, l’organisme Indigenous Climate Action souligne l’exclusion structurelle des Premiers Peuples dans le développement des plans de transition écologique, révélant une atteinte claire au droit à un consentement préalable, libre et éclairé6. Alors que les stratégies de transition énergétique seront décisives pour les décennies à venir, il importe a minima de ne pas reproduire le racisme environnemental qui a teinté grand nombre des précédentes politiques.

Les communautés autochtones subissent et continueront de subir les conséquences de cette exploitation sur Tshikauinu-assi : notre Terre-mère. Même si François Legault nie l’existence du racisme systémique au Québec, ces projets sont à eux seuls la preuve de son existence et de la responsabilité de l’État québécois. Ils mettent en évidence ses politiques reposant sur la dépossession territoriale des Autochtones, sa dépendance à un système qui ancre et perpétue l’assimilation des Premières Nations.

Peu importe la politique énergétique que le Québec finira par adopter, elle doit préalablement faire l’objet d’un vaste dialogue social, ouvert et démocratique, fondé sur le respect de l’autodétermination et de la souveraineté des Premiers Peuples. L’adoption et la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones sont une première étape incontournable en ce sens.

Une chose est claire : la justice climatique est inenvisageable sans véritable justice pour les Premiers Peuples.

1. Lisez la lettre « Hydro-Québec doit arrêter d’ingorer les droits des Premières Nations » 2. Lisez l’article « Préparez-vous, avertit Legault » Consultez la synthèse « État de l’énergie au Québec : édition 2023 », publiée par la Chaire de gestion de l’énergie de HEC Montréal 4. Consultez le rapport Renewable Power Generation : Costs in 2021 de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables, publié en 2022 (en anglais) 5. Consultez le Plan stratégique 2022-2026 d’Hydro-Québec 6. Consultez Decolonizing climate policy in Canada : Report from phase one du regroupement Indigenous Climate Action