Nous, scientifiques, spécialistes et parties prenantes du secteur de la recherche en biodiversité, appuyés par des experts du climat, nous inquiétons du manque d’informations, de transparence et de rigueur scientifique qui entoure le projet Northvolt. Le site ciblé pour la construction de la giga-usine de Northvolt est un refuge pour la biodiversité, exempt d’occupation humaine. On y trouve l’un des derniers milieux humides de la région⁠1 qui abrite de nombreuses espèces fauniques, dont huit sont menacées et légalement protégées, comme les hirondelles de rivage dont la population a chuté de 99 % entre 1970 et 2019. Pourquoi le développement économique et la lutte contre la crise climatique impliquent-ils de sacrifier, sans explication, la biodiversité ?

Une ruée vers la destruction

Force est de constater que moins d’un an après la COP15 à Montréal, l’effondrement de la biodiversité ne semble toujours pas être un enjeu majeur pour le gouvernement provincial. En effet, le site choisi pour le projet Northvolt est précieux pour la biodiversité : en plus d’abriter une riche diversité, il sert à la nidification et à la migration de 142 espèces d’oiseaux et assure le déplacement des espèces en favorisant la connectivité entre les îlots de nature de la région.

S’il y a destruction du milieu humide, Northvolt assure qu’il y aura compensation pour les dommages engendrés sur la biodiversité sous forme pécuniaire ou par la création de nouveaux milieux humides. Si la première solution est loin d’offrir une réelle compensation pour la biodiversité, la seconde est insuffisamment précise pour en évaluer les conséquences pour la biodiversité locale. Par exemple, nous nous demandons comment, concrètement, Northvolt va créer de nouveaux milieux : à quel(s) endroit(s) ? Quand ? Et surtout, comme les milieux humides renferment différents types d’habitats, spécifiques à différentes espèces, à quel(s) type(s) d’habitat(s) peut-on s’attendre ?

L’empressement avec lequel un projet d’aussi grande envergure est mené, couplé au manque d’informations communiquées au public, entrave la capacité de la communauté scientifique, notamment universitaire, d’analyser les conséquences du projet pour la biodiversité et de proposer d’éventuelles solutions tant qu’il est encore temps.

Ainsi, nous regrettons que ni un plan d’action concret pour la compensation ni la liste des espèces identifiées sur le site convoité ne soient divulgués. Nous nous demandons également si d’autres sites ont été envisagés, moins sensibles pour la biodiversité.

Cette démarche pressée et floue met en péril la conciliation entre la protection de la biodiversité, la lutte contre les changements climatiques et le développement économique au Québec. Ces enjeux importants ne sont pas inconciliables. Ils nécessitent toutefois du temps pour de la réflexion et de l’analyse afin de prendre des décisions éclairées, appuyées par des données scientifiques et par la population. D’ailleurs, nous déplorons le risque que l’entièreté de ce projet puisse ne pas être soumise au BAPE, dont le travail important consiste à faire une analyse impartiale de projets d’envergure ayant des répercussions environnementales.

D’une manière générale, nous nous inquiétons du précédent qu’ouvre la gestion de ce projet pour la protection de la biodiversité dans le futur. D’autres projets vont-ils bénéficier de telles largesses, au détriment de la biodiversité et des processus d’acceptabilité sociale ?

La biodiversité, encore dans l’ombre du climat

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Comme l’illustre le projet Northvolt, selon les signataires de la lettre, on assiste à nouveau à du business as usual où l’enjeu crucial de la protection de la biodiversité passe en deuxième, voire en troisième plan, derrière l’économie et le climat.

La construction d’une giga-usine dans un site hautement diversifié, de plus en plus rare dans une région urbanisée, aggrave la première cause directe du déclin de la biodiversité dans le monde : le changement d’usage des sols, comme l’asphaltage de milieux naturels. Viennent ensuite la surexploitation des ressources naturelles, les changements climatiques, la pollution et les espèces exotiques envahissantes, comme indiqué dans un rapport de 2019 de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (l’« IPBES », surnommé le « GIEC de la biodiversité »).

Sans entrer dans le débat de l’éventuelle solution climatique de l’électrification des voitures, il est louable de vouloir agir pour le climat. Toutefois, l’action climatique ne doit pas se faire aux dépens de la vie qui nous entoure. Or, comme l’illustre le projet Northvolt, on assiste à nouveau à du business as usual où l’enjeu crucial de la protection de la biodiversité passe en deuxième, voire en troisième plan, derrière l’économie et le climat.

La biodiversité est bien plus qu’une simple collection d’espèces animales et végétales : elle est le tissu vivant qui maintient l’équilibre de notre planète. Elle devrait être au cœur de nos préoccupations, au nom de notre bien-être, de notre santé et de celle de l’environnement.

Par exemple, la biodiversité assure la pollinisation des cultures, la purification de l’air et de l’eau ou encore la régulation du climat. Ces services ont une valeur économique et même culturelle. Or, nous risquons de compromettre irréversiblement cette richesse naturelle irremplaçable dans une course précipitée au développement économique, même lorsqu’elle est motivée par l’honorable objectif de lutter contre les changements climatiques.

Les décisions d’aujourd’hui ont des conséquences durables pour le Québec et les générations futures. De ce fait, nous demandons au gouvernement du Québec de prendre le temps nécessaire pour considérer sérieusement les répercussions sur la biodiversité de projets comme Northvolt, et de favoriser la participation de la communauté scientifique, de la société civile et de la population aux discussions. Collectivement, nous pouvons contribuer à l’élaboration de projets durables qui assurent un avenir prometteur pour l’ensemble de la population québécoise.

Lisez l’article « Une riche biodiversité sur le terrain de Northvolt » du Devoir *Consultez la liste des signataires Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue