Le projet de loi 15 prévoyant la création de Santé Québec a finalement été adopté sous bâillon à l’Assemblée nationale samedi, au petit matin. Il faudra attendre encore des mois avant que cette nouvelle agence soit opérationnelle et sans doute des années avant que ce énième brassage de structures ne se traduise par des résultats concrets sur le terrain.

On jugera l’arbre à ses fruits, dit l’adage. N’empêche, à ce stade, vous nous permettrez d’exprimer nos vives inquiétudes quant au sort qui sera réservé aux services sociaux au terme de cette vaste réforme. A priori, tout indique que la lente, mais constante érosion de la mission sociale de notre système public se poursuivra.

Le projet de loi 15 a été pensé pour répondre essentiellement à des enjeux de santé physique. Il perpétue, sinon accentue la tendance médico-centriste dans laquelle nous sommes engagés depuis des décennies.

Cette logique inféode les services sociaux à la mission santé en les axant sur le traitement curatif plutôt que le préventif, sur les symptômes plutôt que les causes et sur la quantité de services rendus à la personne plutôt que la qualité. Ce faisant, on dénature le sens et la portée des services sociaux. Des services qui, rappelons-le, s’adressent majoritairement aux personnes les plus vulnérables de la société.

Un manque désolant de considération

En août dernier, nous étions plus de 60 leaders, experts et intervenants œuvrant dans le domaine des services sociaux à écrire au ministre de la Santé, Christian Dubé, afin de lui faire part de ces préoccupations. Il aura fallu plus de trois mois – et un cri du cœur dans les médias – pour qu’on daigne nous répondre et nous accorder un très court entretien, à la fin novembre.

Nous avons profité de cette ultime rencontre avec le ministre pour exprimer trois demandes bien simples qui, sans corriger toutes les lacunes de la réforme, auraient eu le mérite de réitérer l’importance accordée aux services sociaux et de les protéger minimalement face aux soubresauts à venir.

1. Que la nouvelle agence porte le nom de Santé et Services sociaux Québec, pour éviter d’invisibiliser encore davantage notre mission.

2. Qu’un PDG adjoint dédié aux services sociaux soit nommé au sein de la nouvelle agence et dans chacun de ses établissements régionaux.

3. Qu’une clause soit ajoutée au projet de loi afin de protéger les budgets des services sociaux et d’empêcher que les établissements les utilisent à d’autres fins, notamment au profit des services de santé physique.

Nous veillerons au grain

Malheureusement, aucune de ces trois demandes n’aura été entendue. Il en va de même de nombreuses propositions émises en commission parlementaire par les quelques acteurs des services sociaux ayant eu la chance d’y être invités. La considération pour les services sociaux dans le processus menant à l’adoption de ce projet de loi aura été, jusqu’à la toute fin, à l’image de la place secondaire qu’on leur accorde trop souvent au quotidien dans les orientations et décisions régissant notre réseau public.

Pendant ce temps, les problèmes sociaux auxquels est confrontée la population québécoise prennent de l’ampleur et nous peinons à y offrir une réponse digne d’une société riche comme la nôtre.

Le nombre de personnes en situation d’itinérance a bondi de 44 % en cinq ans. Les listes d’attente en santé mentale et en protection de la jeunesse stagnent ou s’allongent. La détresse sociale est à son comble.

Dans les circonstances, nous en appelons à nouveau à la vigilance du ministre de la Santé, Christian Dubé, de son collègue responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, et des gestionnaires, actuels et futurs, qui auront le mandat de mettre en œuvre cette réforme. Ne répétez pas les erreurs du passé. Écoutez la voix des gens portant les services sociaux à bout de bras dans toutes nos régions. Parce que nous avons besoin d’eux plus que jamais. Et qu’ils n’ont pas l’intention de se taire.

*Consultez la liste des 70 cosignataires