De nos jours, on peut assister à une guerre d’une incroyable brutalité en direct sur nos réseaux sociaux pour peu qu’on ait cliqué à quelques reprises sur des publications en lien avec la situation à Gaza.

C’est ma fille de 14 ans qui m’a fait prendre conscience de cette réalité le jour où elle m’a montré la vidéo sur TikTok d’une jeune Palestinienne de 22 ans qui s’appelle Plestia Alaqad et qui se filmait, couverte de poussière, sur le balcon de l’édifice familial tout en nous montrant l’ampleur de la dévastation environnante. J’ai compris que mon adolescente regardait des images de la guerre en Palestine sur son téléphone, qu’elle s’identifiait à cette jeune femme et avait peur qu’elle soit tuée.

#JeSuisEncoreVivant

Après cette découverte, je me suis abonnée à quelques comptes de Gazaouis s’exprimant sur X. Mon préféré est celui de Muhammad Smiry, un jeune enseignant qui s’est déplacé avec sa famille vers le sud du petit territoire enclavé, tel qu’exigé par l’armée israélienne.

Cet homme au visage sympathique s’est donné le mandat d’humaniser les habitants de Gaza en documentant son quotidien et en partageant des photos : autoportrait avec ses élèves avant la guerre, photo de son garçon Kinan qui joue avec de petites voitures dans une tente de réfugiés, le thé qui chauffe sur un feu de bois (puisque Israël a coupé l’électricité dans toute la bande de Gaza), l’adorable chatte blanche que la famille a trouvée, les galettes de pain qui constituent la principale nourriture, etc. Certaines photos et vidéos sont plus troublantes : vidéo d’un groupe d’enfants qui jouent dehors alors qu’on entend le bruit menaçant des drones ou encore le jeune Kinan que son papa n’arrive plus à faire sourire.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE X DE MUHAMMAD SMIRY

Muhammad Smiry avec ses élèves, tout juste avant le déclenchement de l’opération israélienne dans la bande de Gaza.

Chaque matin, je vérifie s’il a écrit : « I am still alive ». Je redoute le moment où il n’écrira plus.

Depuis le mois de décembre, c’est maintenant le sud de Gaza qui est bombardé sans relâche. Une nuit, Muhammad Smiry décide de faire un live. Avec le décalage horaire, des gens d’un peu partout sur la planète regardent sur Instagram sa vidéo des bombardements en direct ; on ressent l’atmosphère oppressante, on observe le ciel menaçant en même temps que lui, on entend le bourdonnement incessant des drones puis de petits sons qui s’accompagnent de boules de lumière, suivis de boums et de colonnes de fumée. C’est complètement surréel. Dans le chat, les gens lui posent des questions par écrit, et il répond à voix haute en anglais – un Instagram live, quoi.

« Comment tu charges ton cellulaire ? » « Qu’est-ce que tu manges ? » « Est-ce que c’est un drone qu’on entend ? »

Toujours en direct, on voit soudain quelques dizaines de personnes se ramasser dans la rue en contrebas de la fenêtre d’où il filme, en proie à une agitation désespérée. Un homme crie en arabe. Il crie : « Où sont les ambulances ? Il n’y a plus d’ambulances ! », nous traduit notre interlocuteur.

Comme dans une émission de téléréalité, on se demande quand ce sera à son tour de se faire éliminer.

« Nous n’entendrons pas exploser la bombe qui va nous tuer », a-t-il précisé dans un tweet.

PHOTO STRINGER, AGENCE FRANCE-PRESSE

Un homme inspecte les dégâts dans une chambre, dimanche, après un bombardement israélien à l’hôpital Nasser à Khan Yunis, dans le sud de la bande de Gaza.

Au-delà des chiffres

Le journaliste Ahmed Alnaouq est aussi une personne intéressante à suivre sur les réseaux sociaux. Il est originaire de Gaza et vit à Londres. En 2015, il a cofondé l’organisme We Are Not Numbers, qui donne à de jeunes Palestiniens la possibilité de se raconter tout en étant supervisés par des écrivains et journalistes professionnels.

Au début de la riposte israélienne, 21 membres de sa famille ont été tués dans un seul bombardement, dont son père et plusieurs de ses frères, sœurs, neveux et nièces.

Par la suite, son ancien colocataire à Londres, un étudiant en médecine retourné pratiquer à Gaza comme urgentologue, a également été tué.

Afin de donner un sens à la douleur et la colère qui l’habitent, il partage des photos lumineuses de sa famille décimée, de son ancien colocataire, et de la magnifique Université al-Azhar où il a étudié les lettres et qui n’est plus que ruines.

PHOTO SAID KHATIB, AGENCE FRANCE-PRESSE

Une Palestinienne réagit après un bombardement israélien à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 14 décembre.

Pour un cessez-les-feu immédiat

Non seulement des milliers d’enfants, de femmes et d’hommes de la société civile palestinienne sont tués, mais toute trace de leur vie d’avant est effacée. Édifices, hôpitaux, centres culturels, restaurants, cafés, mosquées et églises : tout est rasé.

Plestia Alaqad, Muhammad Smiry, le photojournaliste Motaz Azaiza et tous ces Gazaouis qui documentent la guerre sur leurs réseaux sociaux répondent à un besoin, puisque le territoire de Gaza est fermé aux journalistes étrangers. Leur mission est remarquable et dangereuse. De nombreux journalistes palestiniens sont morts depuis le début du conflit. On se demande s’ils ne sont pas ciblés délibérément, car les images qui sortent de Gaza dérangent.

Quand les images sont trop insoutenables, d’un coup de pouce, on fait dérouler l’écran pour passer à autre chose.

Pendant qu’on se prépare pour Noël, un peuple est en train de se faire massacrer en direct sur nos réseaux sociaux dans le silence assourdissant du Québec et du Canada.

Qu’attendent nos dirigeants pour exiger de façon claire et sans équivoque un véritable cessez-le-feu ?

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