Durant un job étudiant en restauration rapide, après un quart à enchaîner les commandes à l’auto à une vitesse légendaire, je me suis rendu compte qu’en rentrant chez mes parents, les réflexes express m’habitaient longtemps après. Je me mettais à fonctionner à la maison comme si j’avais encore mon casque d’écoute : « Ton riz collé est bien, mais ton poulet manque d’épices du chef ! J’ai passé la déneigeuse, tu t’occupes du sel ? »

Sans le savoir, cet état d’adrénaline avait une incidence non seulement sur ma communication, mais je devenais aussi imperméable à des liens porteurs avec mes proches, et mon casque intensifiait mon état transactionnel. Ce phénomène, connu sous le nom de débordement-transfert, résulte de l’excès d’expériences ou de stress d’un domaine de vie, comme le travail, affectant un autre, tel que la vie familiale. Aujourd’hui, on le retrouve en croissance à l’ère du télétravail et d’applications de communication.

Vous vous souvenez de la multiplication des bonshommes de neige, de toutes les formes et avec une ribambelle d’accessoires ? Ces moments de décélération qu’on faufilait entre une rencontre Teams et le souper, et qui offraient des pochettes d’oxygène, du jeu ou de l’évasion ? Ou encore, l’époque des journaux en papier où il était commun de prendre le temps de partager une section des sports ou une conversation sans réaliser que cela tissait des rituels humains. Malgré le stress et l’anxiété grandissants (de 38 % en 1983 à 47 % en 2019 selon Léger), la quête de la performance s’accentue en tandem avec des écosystèmes numériques qui détériorent la capacité de patience envers soi-même et les autres.

Dans The Shallows : What the Internet Is Doing to our Brains, Nicholas Carr souligne que les plateformes numériques influencent notre processus de pensée et réduisent notre capacité de concentration et de contemplation. Notre esprit s’attend désormais à absorber l’information de la manière dont l’internet la distribue, soit dans un flux rapide de particules. Son analogie est si parlante : « Autrefois, j’étais un plongeur en apnée dans l’océan des mots. Maintenant, je file à la surface comme un homme sur une motomarine. »

Notre relation aux plateformes numériques peut entraîner une perte de compétences sociales. Avec les signaux non verbaux subtils dans les interactions virtuelles, il peut être difficile de discerner les sentiments et les intentions. Il est parfois laborieux de se comprendre sans technologies, imaginez avec elles ! Les émotions ont leur place, et saisir les nuances de cette diversité émotionnelle contribue à une vie épanouissante.

Il y a des façons ingénieuses de repenser les dynamiques de travail et les technologies. Romain Janover, professeur d’histoire et de géographie au collège Flora Tristan, utilise des codes QR pour donner des commentaires audio à ses élèves. Il partage des retours plus constructifs et motivants, adaptés à chacun, favorisant ainsi une meilleure compréhension des erreurs. Chez Patagonia, on prône l’horaire flexible, même en pleine journée, car on ne voit pas de valeur dans l’idée de séquestrer des passionnés de plein air dans un bureau toute la journée. Durant l’intensité du Vendredi fou, l’entreprise prône la consommation réfléchie par l’achat d’occasion et la réparation d’objets. Face à nos enjeux, des choix et des paramètres de productivité sont nécessaires pour distinguer nos vérités humaines. En solo ou en groupe, favorisons des relations interpersonnelles plus lentes.

Pour conclure, voici une question pour briser les algorithmes. Si je dis le mot « espace », quelle est la première phrase, image ou émotion qui émerge spontanément ? Posez-la à ChatGPT, puis comparez.

Voici ce qui me vient :

« Et ces hivers enneigés / À construire des igloos / Et rentrer les pieds g’lés / Juste à temps pour Passe-Partout. »

– Les Cowboys Fringants

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