Le condamné innocent mais débouté par les cours de justice canadiennes n’a qu’un recours, le Groupe de la révision des condamnations criminelles (GRCC). Ses chances de succès sont presque nulles : en 20 ans, le GRCC a reconnu 20 erreurs sur les 1,8 million de condamnations criminelles prononcées par les tribunaux. Notre Justice serait infaillible ! L’arbitraire du GRCC a été réprouvé dans le rapport Laforme et Westmoreland-Traoré au ministre de la Justice Lametti.

Je témoigne ici du cas de Daniel Jolivet auprès duquel je me suis engagé depuis six ans. Arrêté le 14 novembre 1992, il est condamné en 1994 pour quatre meurtres commis à Brossard (voir Le douzième juré, Éditions Somme Toute, 2023, et la série d'Yves Boisvert dans La Presse1). La preuve de la Couronne reposait sur des preuves circonstancielles et un délateur rémunéré qui n’avait rien vu.

Après avoir épuisé tous les recours possibles devant les tribunaux, Jolivet de sa prison mit au jour une myriade de preuves jamais divulguées, et s’adressa au GRCC en 2005.

Le mandat du GRCC est circonscrit : examiner la preuve pour voir s’il y a des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur s’est probablement produite. Le cas échéant, il ordonne une enquête, un nouveau procès, ou renvoie la cause devant la Cour d’appel. En 2007 le GRCC rejette la demande de Jolivet. Ce dernier s’acharne, obtient encore des nouvelles preuves. Le GRCC le rejette à nouveau. Les années passent, de nouveaux documents sont retrouvés, Jolivet retourne à la Cour suprême, qui le renvoie au GRCC. Le 26 septembre 2023, la troisième requête de Jolivet est rejetée, bouclant ainsi 18 années passées devant cette instance. Qu’invoque le GRCC ?

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Quelques éléments du gigantesque dossier Daniel Jolivet

D’abord, Jolivet avait écrit que la disparition du dossier de la Couronne à son procès exigeait une enquête. Au contraire, le GRCC affirme qu’il n’en avait pas besoin et ne l’avait pas demandé. Faux : Jolivet obtiendra la lettre du GRCC demandant le dossier à Québec, qui répond qu’il est introuvable. Au total, Jolivet a présenté des caisses de déclarations, affidavits, témoignages, qui s’ajoutaient à l’ancienne preuve. Le GRCC n’a jamais considéré que leur poids considérable aurait pu dans un procès susciter un doute raisonnable. Le GRCC pulvérise chaque preuve une à une : témoin non crédible ; preuve dite fabriquée par Jolivet ; preuve non nouvelle, mais sciemment omise par la défense au procès (contraire au bon sens, et à l’affidavit soumis par l’avocat) ; temps écoulé avant de produire la preuve.

Il est souvent apparent que le devoir d’impartialité du GRCC est érodé du fait que le requérant avait un passé criminel.

Ainsi sont rejetés : trois témoins de l’emploi du temps de l’accusé ; un témoin qui cinq jours après les meurtres avait vu l’arme du crime, réputée disparue ; témoignages infirmant ceux de policiers et autres témoins au procès ; déclaration d’un complice désavouant la version du délateur ; deux nouveaux témoins reliant au délateur un butin provenant des lieux du crime ; rapport d’experts annihilant l’analyse d’appels cellulaires mis en preuve au procès pour situer Jolivet sur les lieux du crime ; et enfin, un affidavit où le délateur déclare « c’est moi qui avais fait le coup de Brossard ».

Le GRCC corrige ou fabrique de la preuve, en offrant ses propres estimés, ou citant une version en clair d’un document que Jolivet n’a vu que caviardé (encore de la preuve non divulguée !). Le GRCC propose un nouveau chef d’accusation, en supputant que si la preuve X était vraie, elle n’exonèrerait pas Jolivet, mais le ferait complice plutôt que meurtrier. Ultime aberration ! Le GRCC affirme enfin qu’aucun document soumis « n’aurait changé le verdict des jurés ». Il se substitue ainsi au jury, outrepassant son mandat et commettant une faute grave, qui s’ajoute à la disparition du dossier de la Couronne. L’on ne peut tenir ces fautes pour bénignes ni faites de bonne foi, puisqu’à ce niveau d’autorité, les tribunaux ont souvent statué que la faute lourde est équivalente à de la mauvaise foi.

Les rapports du GRCC et un interrogatoire de son directeur devant juge exposent l’illégalité de la détention que Jolivet subit depuis 2005 par la faute du GRCC.

1. Lisez la série d’Yves Boisvert "L’affaire Jolivet"