Une récente chronique de Marie-France Bazzo1 a inspiré cette réflexion sur le destin de la langue française au Québec à l’auteur.

« Le cœur », l’article paru dans La Presse du 23 janvier, a suscité en moi une réaction que je m’explique d’autant plus difficilement que je n’y ai rien appris de vraiment nouveau à propos de ce que son auteure appelle notre « démission tranquille ». D’où vient alors le choc qu’il m’a causé ? Peut-être de la rare fermeté de son contenu, de la manière presque brutale, sans ambages, sans arguties, sans ménagements, avec laquelle Marie-France Bazzo aborde le débat sur le français au Québec.

« Le cœur de Montréal ne bat plus en français. Il ne bat plus pour le français […] Il va bien falloir un jour libérer le débat sur la survie du français à Montréal de sa charge émotive et le nourrir de chiffres et de faits. L’immigration n’est ni un cadeau, ni une menace, ni un ressenti. Elle est surtout une donnée. Le Québec a accueilli 46 % des demandeurs d’asile au Canada en 2023, et Montréal agit comme un aimant. »

Qu’on ne s’y trompe pas. Aussi objective qu’elle se veuille, la lecture que fait Marie-France Bazzo de l’état du français au Québec représente par-dessus tout un cri du « cœur » face à « cette mentalité folklorico-assiégée » où notre culture francophone se complaît « par paresse, conformisme, ou même par snobisme ». Ce diagnostic, rien ne l’illustrerait davantage que le projet de la mairesse Valérie Plante, elle qui entend faire du « Quartier latin et ses institutions, l’UQAM et BAnQ […] le quartier de la francophonie ». Mais, demande pertinemment la journaliste : « Y a-t-il un quartier espagnol à Madrid, une petite Italie à Rome ? »

Poser la question, c’est bien sûr y répondre. Mais comment en est-on arrivé là, à devoir faire la preuve par l’absurde d’un tel projet ?

Moi qui suis assez vieux pour avoir assisté aux derniers soubresauts de ladite grande noirceur, avant de vibrer, à l’unisson de ma « génération lyrique », aux grandes promesses de la Révolution tranquille, me voilà réduit, au soir de ma vie, à constater la déliquescence programmée du peuple dans lequel j’avais cru pouvoir me reconnaître. « Qu’est-ce qu’on a fait de nos rêves ? », chantait naguère Sylvain Lelièvre. La réponse n’est pas longue à trouver. Au fil des ans, presque insensiblement, nos rêves ont perdu les « raisons communes » dont ils s’étaient nourris.

D’où, 50 ans ou presque après la déclaration de René Lévesque voulant que le Québec soit « peut-être quelque chose comme un grand peuple », le cri du cœur que lance Marie-France Bazzo à tous ceux qui « ne croient pas au recul du français » dans notre si belle province.

Hélas, un tel cri d’alarme risque d’être aussi peu entendu que l’a été celui que Fernand Dumont adressait, il y a 30 ans, à nos privilégiés, eux qui, disait-il, « ont le loisir de se réfugier dans l’ironie ou la fuite » face à « l’agonie d’une culture qui n’épargne que les nantis ».

Au regard de cette agonie silencieuse, on aurait tort de faire du destin de la langue française au Québec un problème parmi d’autres. « Non seulement le destin du français est lié au processus de prolétarisation de notre collectivité, il le définit en un certain sens », écrivait Dumont. Une thèse que son ami Gaston Miron ne pouvait qu’entériner :

« Je dis que la langue est le fondement même de l’existence d’un peuple, parce qu’elle réfléchit la totalité de la culture en signes, en signifiés, en signifiance. Je dis que je suis atteint dans mon âme, mon être, je dis que l’altérité pèse sur nous comme un glacier qui fond sur nous, qui nous déstructure, nous englue, nous dilue. Je dis que cette atteinte est la dernière phase d’une dépossession de soi comme être, ce qui suppose qu’elle a été précédée par l’aliénation du politique et de l’économique ».

Cette aliénation-là, l’homme d’affaires François Legault non seulement n’a-t-il rien fait pour la surmonter, mais son gouvernement s’efforce en toute bonne conscience de la parachever au profit des possédants, le prétendu nationalisme de la CAQ, dont la loi 96 se veut la pierre de touche, n’étant au fond qu’un trompe-l’œil. Pour s’en convaincre, il suffit de prêter attention au sous-texte des discours de ses ministres séniors, les Pierre Fitzgibbon, Éric Girard et Christian Dubé, ces affidés les plus zélés de la privatisation de l’État.

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