Une collègue établie en Cisjordanie expliquait récemment que son amie à Gaza a dû accoucher par césarienne. Sans anesthésie. Quatre-vingt-dix pour cent de la population connaît une faim aiguë. Dix-sept mille enfants sont séparés de leurs parents ou non accompagnés.

Un partenaire à Gaza nous confie que les gens ne savent quoi répondre à leurs enfants qui, malgré la faim et la maladie, leur disent : « Nous ne voulons plus rien d’autre que de rentrer chez nous. » Mais 60 % d’entre eux ne pourront pas rentrer chez eux, car leurs maisons ont été détruites.

Il ne reste pratiquement que deux hôpitaux qui fonctionnent encore, et des milliers de blessés attendent dehors pour être soignés. Il ne fait aucun doute que de nombreuses personnes blessées se retrouveront avec un handicap permanent.

À la suite de la terrible attaque du Hamas le 7 octobre, l’intervention disproportionnée de l’armée israélienne, tel un rouleau compresseur, passe sur la bande de Gaza du nord au sud et laisse derrière elle un chantier de ruines, des milliers de corps sous les décombres, près de 30 000 morts dont 70 % de femmes et d’enfants. Un million et demi de personnes se retrouvent dans un territoire grand comme la ville de Saint-Hubert.

Aujourd’hui, après plus de quatre mois de bombardements, 2,3 millions de survivants et survivantes sont sans eau, sans nourriture, sans soins, car Israël ne laisse entrer aléatoirement que des miettes d’aide humanitaire.

Toutes les parties au conflit ont l’obligation de respecter le droit international humanitaire. Les crimes de guerre commis par une partie ne justifient pas la violation du droit international humanitaire en réponse.

Est-ce ainsi que les otages seront protégés et libérés ? Est-ce ainsi qu’on traite et qu’on porte secours aux civils, pourtant une obligation que doivent respecter tous les États ? Est-ce ainsi que justice sera faite et que la paix s’ensuivra ? Est-ce ainsi que les nations démocratiques appliquent le droit international humanitaire dont elles se sont dotées pour ne pas répéter les horreurs du passé ?

Le Canada doit agir

Nous, les organisations humanitaires, sommes confrontées à des questions fondamentales sur notre action depuis qu’on nous empêche d’intervenir. Car dénoncer les déclarations vagues qui enterrent, en semblant le défendre, le droit international — le socle de notre travail — et inlassablement répéter ce qui doit être fait n’est clairement pas suffisant quand il s’agit de ce coin du monde. Si le droit international humanitaire est ainsi bafoué, en toute impunité, comment pourrons-nous désormais intervenir ?

Devant l’ampleur croissante de l’intervention militaire, nous avons dû planifier ensemble une stratégie ponctuée de multiples rencontres, d’appels et de lettres pour demander l’évidence : ne pas prendre pour cibles les civils et les hôpitaux, apporter les soins essentiels… tout en vérifiant que nos collègues coincés à Gaza avec leur famille sont toujours vivants.

Le gouvernement canadien a pris des positions tardives : demande de cessez-le-feu, reconnaissance du jugement préliminaire de la Cour internationale de justice, appui à une solution à deux États… Mais rien ne change concrètement dans la vie des civils. Chaque jour compte. Chaque vie compte. Deux cent cinquante personnes en moyenne la perdront encore aujourd’hui.

Cet échec politique de la communauté internationale tue. Le gouvernement d’Israël ne veut rien entendre, et continue d’avancer en annonçant des attaques sur Rafah, le dernier point surpeuplé de confinement de la population.

Cette position faible du Canada nous désole et contribue à nous discréditer vis-à-vis de civils dans certains conflits. Nous ne pouvons accepter à ce point cette déconsidération du droit qui protège les civils et qui semble de plus en plus être appliqué ou exigé selon le contexte. C’est dans les situations difficiles que les droits de la personne doivent être notre référence et mis en œuvre. Non seulement il faut dire haut et fort que Israël doit cesser de viser les civils, accepter un cessez-le-feu immédiat et durable et laisser rentrer pleinement l’aide humanitaire, il faut aussi agir concrètement.

C’est pourquoi nous demandons aussi au Canada de ne pas risquer d’être complice des violences qui ont cours à Gaza. Selon le Traité sur le commerce des armes et la loi canadienne sur les permis d’exportations et d’importation d’armes, le Canada doit suspendre le transfert direct et indirect d’armes vers Israël lorsque le risque de violer le droit international et les droits de la personne est substantiel.

Nous encouragerons les citoyens et citoyennes à choisir le camp du droit et à ne pas permettre ce recul majeur de notre conscience collective. Ce n’est pas à ce terrible coût que les conflits se résolvent.

*Cosignataires : Anne Delorme, directrice générale d’Humanité & Inclusion Canada et Patrick Robitaille, conseiller principal des politiques et relations gouvernementales, Aide à l’enfance Canada

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