Combien d’élus devront encore démissionner avant que nous, en tant que société, ne prenions pleinement conscience de la nécessité de repenser les conditions dans lesquelles nous exerçons la démocratie ?

La récente démission de France Bélisle, mairesse de Gatineau, vient s’ajouter aux départs de plus de 740 politiciens élus en septembre 2021. Et s’il y a un élu municipal sur 10 qui a quitté durant ce mandat, d’autres, encore en poste, dénoncent également le climat toxique auquel ils doivent constamment faire face s’ils veulent rester en fonction.

Inspirée par les idées de l’historien Yuval Noah Harari dans Sapiens, une brève histoire de l’humanité, je vois la démocratie comme une entité abstraite, existant uniquement parce que nous l’avons imaginée et que nous y croyons collectivement. En effet, elle ne peut subsister si nous cessons tous d’y croire.

Ainsi, son maintien exige un engagement constant, car la démocratie demeure, encore à ce jour, le moyen le plus efficace d’assurer une réelle collaboration entre des millions d’inconnus.

Notre démocratie, cependant, montre des signes préoccupants de dégradation. La perte de confiance envers les politiciens, la polarisation des discours et l’augmentation des démissions d’élus en sont quelques symptômes. Le récent déclassement du Canada dans l’indice démocratique du magazine The Economist pourrait également être un autre indice.

Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Plusieurs causes doivent être examinées. Que pouvons-nous faire à court et long terme ? Une situation complexe nécessitera toujours l’addition de solutions concertées.

Méconnaissance des institutions

Pour ma part, je crois que la méconnaissance et l’incompréhension des rouages de nos institutions et des leviers démocratiques est un enjeu qu’on ne peut ignorer. Peu d’écoles enseignent de manière pratique le fonctionnement des institutions démocratiques et les moyens d’y participer activement. Si vos parents ne vous l’enseignent pas ou si vous n’avez pas la curiosité de l’apprendre par vous-même, il est fort probable que vous ne développerez jamais une compréhension approfondie de notre système démocratique ni un engagement actif envers celui-ci.

Cette lacune dans notre éducation civique favorise l’apathie et la manipulation. L’impact est pourtant prévisible : l’incompréhension de notre démocratie alimente la méfiance, qui engendre à son tour, trop souvent, la peur et l’agressivité.

En 2024, reconnaissons que nombreux citoyens sont désengagés, désabusés ou exercent une énorme pression sur les élus en ayant des attentes disproportionnées envers ceux-ci.

Ancienne conseillère municipale de Montréal, je peux témoigner de ce constat frappant et également mettre en lumière que l’agressivité ambiante et grandissante est aussi un frein pour un dialogue démocratique constructif.

Par exemple, l’utilisation des réseaux sociaux durant mon mandat en 2013 ouvrait de nouvelles voies de communication pour renforcer la proximité entre les élus et les citoyens. Je pouvais vulgariser les processus menant à des choix politiques tout en facilitant une meilleure appropriation par les citoyens des instances décisionnelles de la ville, particulièrement auprès de ceux qui n’y participaient pas régulièrement.

Cependant, cette initiative prometteuse est devenue un terrain fertile pour les comportements irrespectueux et les trolls. Pourquoi ? Au départ, lorsqu’un individu maladroit ou irrespectueux commentait mes publications, d’autres abonnés recadraient spontanément (et poliment) ces dérapages. Au fil du temps, ces alliés se sont rendu compte que leur intervention les exposait à des représailles, ils ont donc majoritairement cessé. Et je les comprends ! Néanmoins, cette solitude sur les réseaux sociaux est une expérience partagée par de nombreux élus qui se trouvent aujourd’hui déchirés entre l’idée d’être accessibles et celle de se protéger de possibles violences.

Aussi, une autre facette de l’agressivité qui malmène notre démocratie appartient cette fois aux élus eux-mêmes et à l’absence de soutien officiel lorsque nécessaire. Par exemple, lorsqu’un élu harcèle un collègue, les réactions oscillent encore trop souvent dans les municipalités entre l’indifférence et le fatalisme : « ça fait partie de la job », « c’est un élu qui agit souvent comme ça », « fais-toi une carapace ». Si aucun milieu de travail n’accepterait ce statu quo, il est évident que nous devons mettre en place des stratégies efficaces pour encadrer le comportement des élus et assurer un environnement sécuritaire et respectueux au sein de notre démocratie.

Ainsi, il est grand temps que nous cessions de tenir notre démocratie pour acquis. Nous devons nous engager à créer les conditions propices à l’exercice plein et entier de nos droits et devoirs démocratiques. En créant un environnement favorable, nous pouvons revitaliser notre démocratie et la transformer en un véritable moteur d’égalité, de participation citoyenne et d’engagement politique. Cependant, nous y arriverons uniquement si nous croyons tous à l’importance d’investir dans notre démocratie. Y croyez-vous ?

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