En plus de quatre décennies de pratique, j’ai appris que nos lois ne sont pas toujours garantes de justice. Heureusement, les lois évoluent. Toutefois, pour ceux qui échappent toujours à la protection de la loi, les conséquences peuvent être fatales.

Ce ne sont pas seulement les humains qui peuvent être traités de manière injuste, mais aussi les animaux. En particulier, au Québec, notre gouvernement préfère l’extermination des animaux qui réussissent à vivre autour de nous au lieu de gérer de façon plus humaine la surpopulation. Cette indifférence perdure en dépit des derniers constats1 scientifiques concernant la sentience2 animale, soit que les animaux peuvent ressentir des émotions comme la joie et la peur, à l’instar des humains.

Nous devons admettre notre échec collectif dans la gestion de la biodiversité du parc Michel-Chartrand de Longueuil, où plus de 100 cerfs seront assassinés à l’arbalète l’automne prochain.

Nous avons manqué à notre devoir de protéger cette communauté animale qui se promène de parc en parc, leur habitat naturel ayant été grandement réduit par notre présence.

Ce ne sont pas seulement des défenseurs des droits des animaux locaux qui prennent conscience de cette cruauté. Cette histoire a touché une corde sensible – les revues humoristiques de Radio-Canada se sont moquées du plan aberrant de Longueuil. L’idée de tuer un animal « de manière rapide et douce » en l’empalant avec des flèches est absurde au point d’être satirique, comme l’a souligné le Bye bye 2023. Idem pour Infoman.

Les cerfs ont également trouvé des alliés à l’échelle internationale, dont Brigitte Bardot, qui a parfaitement saisi le dilemme éthique : « À l’heure où la biodiversité est plus que jamais en danger, comprenez la colère et l’indignation que soulève votre décision. Il est de notre devoir commun de pacifier notre relation à la nature », écrit-elle.

Une flèche au cœur

Nous reconnaissons que des dizaines de milliers de cerfs du Québec peuvent être légalement tués chaque année par des chasseurs pour leur subsistance. Notre gouvernement encadre ces activités. L’enjeu n’est pas de savoir si la mise à mort d’un animal ne peut être éthique, mais bien de comprendre que de tuer un animal sans raison valable est contraire à toute éthique.

La Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal représente un pas dans la bonne direction. Ces réformes attendues depuis longtemps ont amélioré la protection des animaux en reconnaissant leur sentience. Le Québec a besoin de réhabiliter son image, entachée par les usines à chiots, les zoos en bordure de route, les abattoirs de chevaux et d’autres activités douteuses qui reposent sur l’exploitation animale.

La chasse à l’arbalète prévue à l’automne à Longueuil créera un précédent troublant. Pourtant, notre coalition a offert sur un plateau d’argent des solutions de rechange non violentes, notamment la relocalisation, la stérilisation, le déparasitage, ainsi que les soins vétérinaires – sans frais aucuns.

N’oublions pas que même si un cerf est atteint par une flèche directement au cœur, il souffre tout de même pendant plusieurs minutes avant de mourir. L’erreur étant humaine, le chasseur qui manque sa cible signe une souffrance de plusieurs heures avant la délivrance de sa victime par la mort.

Il serait possible d’atteindre ce même cerf avec une fléchette sédative et de réaliser une vasectomie sur-le-champ en seulement 15 minutes3. Les femelles, quant à elles, peuvent être traitées avec une hormonothérapie qui les empêche de concevoir pendant plusieurs années.

Il existe des argumentations qui sont plus faciles à comprendre que d’autres.

La couverture médiatique des chiens de type pitbull, dont j’ai défendu le droit à l’existence ces dernières années, a pris une tournure burlesque où tout argument scientifique était noyé dans la panique. Mais au parc Michel-Chartrand, le problème est moins compliqué et souvent qualifié de « nuisance ». Avec tout le respect que je dois à la mairesse Catherine Fournier, la solution de Longueuil pour régler cette nuisance est primitive et brutale. Ce n’est pas parce que quelqu’un est une nuisance qu’il mérite d’être exécuté.

Il vaudrait mieux tout simplement reconnaître que le parc constitue leur patrimoine, puis agir pour éviter que le troupeau atteigne un nombre insoutenable, en respectant la vie de ceux et celles qui composent cette communauté.

Peut-être que certains d’entre nous ne sont pas encore prêts à reconnaître que les animaux qui cohabitent avec nous en milieu urbain sont eux aussi des êtres sensibles ? Mais les découvertes scientifiques récentes nous révèlent qu’ils ne sont certainement pas insensibles. Et dans le droit québécois, ils ne sont définitivement plus considérés comme insignifiants. Sommes-nous prêts à affronter les implications de la sentience animale ?

1. Lisez « Les pieuvres sont des êtres sensibles capables de ressentir la douleur selon une nouvelle étude » 2. Lisez « Le mot sentience entre dans le Larousse 2020 » 3. Lisez « Solving Staten’s Island Deer Problem with a Snip and a Stitch » (en anglais, sur abonnement) Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue