Il y a un peu plus de deux siècles, au printemps 1814, les Cosaques russes, « cet amas confus de barbares du Don », écrivait un observateur du temps, bivouaquaient sur les Champs-Élysées après être entrés dans Paris dans la foulée de l’effondrement du régime de Napoléon. Ils n’ont pas laissé un souvenir impérissable de leur passage.

Aujourd’hui, à écouter les prophètes de malheur et les affairistes en quête de contrats militaires, la version moderne des Cosaques, les soldats russes de Poutine, se prépareraient à envahir l’Europe pour mettre fin à son modèle social, sa démocratie et ses libertés. Ce message vient de partout.

Depuis le début de l’année, nous sommes inondés de pronostics inquiétants sur les intentions malveillantes de la Russie envers l’Europe.

Ainsi, au Royaume-Uni, le commandant de l’armée de terre a appelé à prendre des « mesures préparatoires en vue de placer nos sociétés sur le pied de guerre si nécessaire ». Son homologue roumain a quant à lui mis en garde contre le « risque d’une extension de la guerre », en cas de succès russe en Ukraine.

Pour sa part, le chef de la défense danoise a même estimé que la Russie est « maintenant plus forte que prévu », malgré les pertes subies durant les années de guerre en Ukraine.

Cette éventualité d’une guerre en Europe a été encore évoquée en Suède, en Belgique, en Estonie, en Pologne et… en Allemagne, où le ministre de la Défense a multiplié les avertissements au cours des dernières semaines. « Nous sortons d’une période de 30 ans de paix et nous allons maintenant dans l’autre sens », a-t-il encore dit, récemment. « Nous entendons des menaces du Kremlin presque tous les jours. […] Nous devons donc tenir compte du fait que Vladimir Poutine pourrait même attaquer un jour un pays de l’OTAN […]. Nous devons aussi réapprendre à vivre avec le danger », a-t-il ajouté, avant de prophétiser que cela pourrait se produire dans cinq ans.

Enfin, il y a la déclaration du président français, Emmanuel Macron, voulant que l’Europe puisse déployer des troupes au sol pour aider les Ukrainiens à combattre les Russes et surtout à les empêcher, s’ils triomphent de l’Ukraine, d’attaquer d’autres pays.

Une situation différente

Et comme par hasard, s’il existe, ces nombreuses déclarations dont l’effet est de susciter la peur et non la réflexion arrivent au moment où l’Ukraine a besoin d’armes et que le Congrès américain traîne les pieds pour lui en fournir. Cette façon d’attirer l’attention est un classique du temps de guerre – froide ou chaude – qui a émaillé la confrontation Est-Ouest pendant une cinquantaine d’années. Pour forcer politiciens et opinion publique à appuyer des augmentations de budgets militaires, rien de mieux que d’exagérer une menace, une situation.

Il est vrai que les services de renseignements américains avaient vu venir l’invasion de l’Ukraine par la Russie en lançant des alertes pendant l’automne 2021. Mais une fois n’est pas coutume. Et la situation actuelle est complètement différente.

Les Occidentaux et les Ukrainiens sont mieux préparés qu’il y a trois ans. En outre, l’armée russe, en entrant en Ukraine, a montré ses extraordinaires faiblesses malgré des décennies à moderniser son outil militaire.

C’est d’ailleurs l’opinion du chef des forces armées britanniques, l’amiral Sir Tony Radakin. Dans un discours repris récemment par le quotidien The Guardian, il a remis les pendules à l’heure.

Selon l’amiral, la Russie est totalement empêtrée en Ukraine et ne représente pas une menace militaire majeure pour le Royaume-Uni et pour les alliés est-européens de l’OTAN. « Nous ne sommes pas sur le point d’entrer en guerre contre la Russie. Nous ne risquons pas l’invasion à court terme. » Pour cela, il faudrait que Moscou « reconstitue son parc de chars et de véhicules blindés, reconstitue ses stocks de missiles à longue portée et de munitions d’artillerie et s’extirpe d’une guerre longue et difficile ».

PHOTO DMITRI LOVETSKY, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Affiche de recrutement dans l’armée russe à Saint-Pétersbourg, en Russie, le 24 février dernier

« Je ne dis pas que la Russie n’est pas dangereuse », a ajouté l’amiral. « Elle a démontré sa dangerosité par l’agressivité dont elle fait preuve tant sur le plan national qu’international. Mais en même temps, ses capacités sont nettement inférieures à ce que nous avions prévu », contredisant ainsi son homologue danois et rejetant les prédictions alarmistes de certains politiciens et experts américains et européens. Quelque chose me dit que les Britanniques s’y connaissent en affaires militaires, eux qui, avec les Américains, ont une longue expérience du combat et planifient au jour le jour de chez eux et de l’Ukraine la guerre contre la Russie.

Vraiment, les nouveaux Cosaques russes sont encore loin des Champs-Élysées.

*Jocelyn Coulon publiera en mai ses mémoires aux éditions Somme toute/Le Devoir.

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