Je me remets encore d’une visite au Laos, en mars dernier, où j’ai été témoin d’une opération de nettoyage de terres agricoles.

Non pas un désherbage ou un défrichage, ni même un nettoyage de terres souillées par des produits chimiques, mais plutôt le nettoyage d’une parcelle de terrain contaminée par des armes à sous-munitions et des restes explosifs de guerre.

Au moment de ma visite, c’est une surface d’un peu plus de 30 000 mètres carrés qui était en cours de nettoyage. Une surface qui, après 29 jours de travail intensif, serait de nouveau sécuritaire et remise à l’agriculteur.

Ce dernier avait fait appel aux autorités à la suite de la découverte d’une bombie (petite arme à sous-munitions que l’on retrouve un peu partout sur le territoire laotien). Purgées de ces débris explosifs, ses terres agricoles pourraient enfin être exploitées à pleine capacité, sans danger.

Appelées bombies par les Laotiens, ces sous-munitions sont des restes non explosés de bombes ayant été larguées il y a de nombreuses années, lors de précédentes guerres.

Encore aujourd’hui, chacune d’elles est assez puissante pour tuer. Dans la majorité des cas, les victimes des bombies perdent une jambe, un bras, ou pire encore.

Mais lors de ma visite, alors qu’elle n’était qu’à mi-parcours dans cette opération spécifique, l’équipe de 28 personnes responsables du nettoyage avait déjà découvert, dans les champs de ce citoyen, plus de 70 de ces bombies…

Imaginez. Vous vivez de vos plantations, mais vous savez qu’à tout moment votre bêche ou votre pelle peut toucher et déclencher un débris explosif, héritage d’une guerre ayant eu lieu il y a près de 50 ans. Les accidents sont nombreux dans ce pays. Chaque village a ses histoires d’enfants, d’agriculteurs, de civils ayant été blessés par des restes de bombes qui n’avaient pas explosé à l’époque. Depuis 1964, plus de 50 000 victimes ont été tuées ou blessées par ces engins⁠1.

Le Laos présente le niveau de contamination aux sous-munitions le plus élevé au monde. Entre 1964 et 1973, les États-Unis ont déversé plus de 2 millions de tonnes de bombes sur le Laos, dont 270 millions de sous-munitions, alors que le pays n’était pas partie prenante à la guerre du Viêtnam. Des millions de bombies n’ont pas explosé lors de l’impact et demeurent actives.

Imaginez maintenant des enfants qui courent et jouent près des cours d’eau sur les terrains en bordure d’un village. Imaginez qu’ils découvrent ces restes, ces bombies qui ressemblent à s’y méprendre à une balle de tennis métallique. Qu’ils les prennent pour en faire leur « jouet »…

Ce n’est pas un film de fiction.

On estime qu’il y a environ 80 millions d’engins non explosés au Laos.

Le jour de ma visite, l’équipe de l’organisation internationale Humanité & Inclusion en a trouvé sept.

Et cette réalité n’est pas limitée aux conflits du passé.

Encore aujourd’hui

De nombreux témoins et journalistes ont affirmé avoir constaté l’utilisation de bombes à sous-munitions dans le conflit ukrainien. Les deux camps sont accusés d’avoir utilisé ce type d’armes⁠2.

Encore une fois, pendant de nombreuses années à venir, on retrouvera des restes non explosés dans des zones où des citoyens pourraient être blessés.

On retrouvera aussi des mines antipersonnel sur le territoire ukrainien pour encore longtemps. L’après-guerre sera long et les civils seront ceux qui en paieront le prix fort.

PHOTO NICOLE TUNG, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Opération de déminage à Termanin, en Syrie, en août 2023

La réalité est similaire au Yémen, en Syrie et dans tant d’autres pays⁠3.

Des années de nettoyage attendent ces civils. Ce sont des millions de kilomètres carrés que des citoyens éviteront de développer et d’exploiter, de peur d’être blessés ou même tués par ces explosifs.

Il y aura des familles dont seul le père se risquera sur ses terres, interdisant à ses filles et ses fils de l’aider, de peur de les voir perdre un bras ou une jambe.

Ce sont des histoires comme celles-ci que j’ai pu entendre lors de ma visite au Laos, des rencontres qui frappent l’imaginaire, mais qui sont bien réelles. Tristement réelles.

C’est entre autres pour tous ces citoyens qu’il est essentiel de militer pour un arrêt total de l’utilisation d’armes explosives dans des zones habitées. Il est essentiel que les conflits armés n’aient pas de répercussions pendant des décennies sur les populations civiles. Il est essentiel que ces hommes, femmes et enfants soient protégés, tant pendant la durée du conflit qu’après.

Ceci est au cœur du plaidoyer d’Humanité & Inclusion qui demande à notre gouvernement de mettre en œuvre de façon concrète la Déclaration politique sur le renforcement de la protection des civils contre les conséquences humanitaires découlant de l’utilisation d’armes explosives dans les zones peuplées, mieux connue sous le nom d’EWIPA, et d’allouer des fonds visant l’élimination de ces armes des lâches.

Cette visite au Laos m’aura ouvert les yeux sur une réalité beaucoup plus grande, mondiale, et d’une importance sans nom pour la protection des civils, pour des citoyens comme vous et moi.

1. Consultez la page d’Humanité & Inclusion sur le Laos 2. Consultez la page Cluster Munition Use in Russia-Ukraine War (en anglais) 3. Consultez la page Landmine Monitor 2023 Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue