Il y a maintenant près de 20 jours, le jeune David Fortin est parti de chez lui et a disparu. Le jeune de 14 ans était persécuté depuis le primaire à l'école. L'histoire de David Fortin, c'est celle de milliers de jeunes au Québec qui, eux aussi, sont les souffre-douleur de la cour d'école. Avec deux histoires, nous vous présentons aujourd'hui les deux visages de l'intimidation. Ceux qui harcèlent et ceux qui sont harcelés.

Nous sommes à la sortie des classes, dans un quartier défavorisé de la grande région de Montréal. Jean a 14 ans. Il se promène dans la rue avec deux amis. De l'autre côté de la rue, un jeune de leur école leur crie une banalité. Jean et ses amis n'aiment pas son ton. «Il nous niaisait, c'était clair.» Jean et ses amis ne font ni une ni deux. Ils traversent la rue et cognent. À trois contre un.

 

Jean est le prototype du petit caïd de la cour d'école. Le jeune Noir n'est pas particulièrement baraqué. Mais depuis le primaire, c'est un dur. Depuis qu'il est tout jeune, il collectionne les avertissements et les séjours chez le directeur. À 16 ans, il a une longue histoire d'intimidation. Nous l'avons rencontré à la polyvalente qu'il fréquente. Il a accepté, pendant une heure, de nous faire entrer dans la jungle de la cour d'école. Un condensé de violence pure et dure.

Pour un oui, un non ou un regard mal placé, Jean a cogné bien des gars. «Les autres savent que je peux frapper.» Et il a bien averti sa nouvelle copine de faire de même. «Laisse pas le monde te parler n'importe comment.» C'est sa réputation de dur qui est en jeu.

Jean s'est aussi livré au taxage. Il se souvient encore de ce baladeur numérique obtenu en accostant simplement un élève à l'arrière d'un autobus. Jean était en 2e secondaire. Avec deux amis, il a entouré l'élève. «Donne-moi ton iPod.» Le ton était calme, mais ferme. La chose s'est faite en quelques secondes. Et Jean a gagné un baladeur sans même lever les poings.

Jean a fréquenté plusieurs écoles. Partout, il a intimidé d'autres élèves. A l'école, dans l'autobus. Et pourtant, jamais il ne s'est fait pincer. «Il n'y avait jamais de surveillance autour.» Une fois, lors de l'incident dans la rue, l'autre jeune a porté plainte à la police. C'est d'ailleurs le seul épisode que Jean regrette. Parce qu'il s'est fait prendre.

Et à l'école, est-ce que les professeurs et les surveillants peuvent vraiment aider les victimes? «Pas vraiment. En fait, ils ne peuvent rien faire», lance-t-il.

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L'histoire de Jean, c'est l'image classique du jeune qui intimide. Le petit caïd, qui glissera peut-être sur la pente savonneuse de la délinquance. Mais la plupart du temps, l'intimidation se déroule de façon beaucoup plus insidieuse. Et le portrait de la petite brute, du bully, est totalement différent.

Philippe a 26 ans et étudie à l'université en sciences politiques. Parents professionnels, classe moyenne supérieure; il a fréquenté un collège privé. Philippe n'a jamais été costaud. «Je n'ai jamais fait mal à personne physiquement», dit-il. Non, l'arme de Philippe, c'était l'intelligence. Et une bonne dose de méchanceté.

Lorsqu'il était en cinquième année, ses parents ont déménagé et il a changé d'école. Il s'est rapidement retrouvé isolé. Il a souffert, seul, pendant deux ans. En arrivant au secondaire, dans un collège privé, le scénario s'est poursuivi. «Il y avait une hiérarchie tacite, mais très bien établie. On aurait pu faire un classement de tous les élèves, de 1 à 155. Et tous ceux qui étaient en bas de toi, tu pouvais les écoeurer.»

Au début du secondaire, Philippe moisissait dans le dernier quartile du «classement». À la fin de la 3e secondaire il était «au top». Comment avait-il gravi les échelons? En riant, souvent très méchamment, des autres. «Une tyrannie sociale insidieuse», résume-t-il.

«Écoeurer, c'était un loisir, une activité parascolaire. On donnait des surnoms aux gens, on trouvait une caractéristique de la personne et on l'exploitait. On faisait des exposés oraux pleins d'allusions pour niaiser certaines personnes, raconte-t-il. Et il fallait que la personne réagisse. Sinon, on passait à un autre. Gosser quelqu'un qui ne réagit pas, c'est plate. Il y a plein de monde qui a pleuré à cause de moi, c'est sûr.»

Les cibles de Philippe? Les jeunes pas cool. «Ça n'avait rien à voir avec le fait qu'ils étaient bons ou pas à l'école. Au secondaire, un des gars les plus cool était dans les scouts. Jamais personne ne l'a niaisé avec ça. Imagine, sinon, à quel point il se serait fait écoeurer.»

Dans un tout autre registre, le portrait que Philippe dresse de la cour d'école moyenne n'est pas si différent de celui de Jean. «C'est hostile, une cour d'école. Ce n'est pas une société libre et démocratique.» Philippe ne croit pas à l'intervention des adultes dans ce genre de problème «C'est intense, l'omerta, dans une cour d'école.»

Et s'il avait lui-même un enfant victime de harcèlement, que lui dirait-il? «J'essaierais d'en faire un mâle ou une femelle alpha. De lui inculquer une confiance en lui inébranlable.» Car il y a bien peu d'armes contre le harcèlement insidieux auquel il s'est adonné. «Quand quelqu'un te frappe, tu peux le frapper. Mais comment répliquer à la mesquinerie, à des regards? Tu mines le moral de la personne.»

Dix ans plus tard, Philippe s'en veut d'avoir tant harcelé d'autres jeunes. «Je le regrette amèrement. J'y repense souvent.» Ironie du sort, il a aujourd'hui plusieurs amis sur Facebook qui étaient autrefois ses souffre-douleur. Lui ont-ils déjà parlé des conséquences de ses frasques? «Jamais. C'est un non-dit entre nous.»

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Notre chroniqueur Patrick Lagacé a abordé cette semaine sur son blogue la question de l'intimidation en se demandant ce qui pouvait bien motiver les jeunes harceleurs à l'école, les bullies. Harceleurs et harcelés ont été nombreux à partager leur expérience. Voici quelques témoignages pris intégralement.

«Moi quand j'étais au secondaire j'étais toute une bully. Mais j'ai appris plus tard dans ma vie que j'ai fais ce que j'ai appris dans mon enfance. Ma mère était une bully, elle me donnait des volées devant le monde. Plus il y avait de monde plus elle se sentait puissante. Alors, j'ai fait ce que j'ai appris: je battais plein de monde pour absolument rien. (...) Je me suis tellement fait humilier dans ma jeunesse que je me suis mise à humilier les autres comme revanche.» - Gatineaugirl

«J'ai maintenant 24 ans et oui, j'ai été une bully. Je l'ai été au secondaire, dans une école de filles d'Outremont. Ma mère, une femme extraordinaire, était assez pauvre; on vivait dans un minuscule appartement dans Côte-des-Neiges, près de la Plaza. Je n'avais pas (et je n'ai jamais eu) les vêtements de chez GAP ou Jacob, et encore moins les souliers de chez Browns. J'emmerdais les autres pour survivre, pour qu'elles n'osent pas juger ma mère, ma situation, mes vêtements.» - Katiminie

«Frapper pour se défendre, d'abord, puis parce que ça marchait. Pour montrer qu'une fille, c'était aussi fort qu'un gars. (...) Bonne à l'école, studieuse, je n'avais pas le profil. Ça, ça marchait encore plus. Être une fille aussi, ça aidait. Personne ne se plaint d'une fille. (...) Je regrette sincèrement aujourd'hui d'avoir été une bully, mais jamais de m'être défendue.» - Lesnerfs

«Moi, j'ai été celle qui se faisait battre au primaire. Celle à qui on brûlait les cheveux, qu'on faisait trébucher, qu'on frappait tête la première dans les casiers, qui recevait les coups de poings au visage. Ça m'a donné de grosses séquelles au primaire-secondaire (aucune estime de soi, fugues, tentatives de suicide), mais j'ai décidé en secondaire 5 d'essayer de comprendre les gros méchants loups et de faire la paix avec mon passé. Je crois que j'étais simplement l'appât facile, parce que j'étais douce comme un agneau, parce que je refusais de me battre, parce que je pardonnais tout, parce que je voulais désespérément être aimée.» - Nymph_ea

«J'ai été victime de crétins qui se faisaient un plaisir de m'écoeurer à cause de ma petite taille et de mes lunettes. J'ai 55 ans. C'était dans les années 65-70. Naturellement le personnel ne faisait pas grand chose pour m'aider sauf en huitième année où il y a eu un prof pour qui le respect avait un sens. Ça été une merveilleuse année car il ne laissait rien passer, il a mis au pas les deux ou trois cons rapidement. Malheureusement, l'année suivant, l'autre prof s'en foutait et tout a recommencé. Et j'ai failli abandonner l'école.» - richard628

«J'ai eu deux bullies majeurs dans ma vie: le premier au primaire, un sale con qui faisait ce qu'il voulait durant les cours d'éducation physique, sans être puni ou réprimandé, puisque ça mère était enseignante... d'éducation physique. (...) Le deuxième est un gars que j'ai connu au secondaire. Violence verbale et niaiseries répétées à mon sujet. Il est maintenant un sans-abri (...). Je n'ai jamais eu de compassion pour ce gars-là, et il mérite bien ce qui lui arrive.» - luigi-gi