Il ne s'était jamais entraîné. Il n'avait jamais voyagé. La retraite ? « Je suis toujours occupé, je manque même de temps. En plus, je fais du ménage, ce que je n'ai jamais fait de ma vie. Après des années de travail, c'est la plus belle chose qu'on peut avoir. »

À 61 ans, Réal Martin est plus heureux qu'il ne l'était à 40 ans. « Je pensais juste à travailler, et je suis plus en forme aujourd'hui », dit-il.Le Montréalais a une fille et deux petits-fils de 11 et 13 ans. Il est à la retraite depuis cinq ans. Sa femme, elle, est toujours sur le marché du travail. « Elle travaille à l'Institut de cardiologie. Elle aime ce qu'elle fait. L'an prochain, elle sera à trois jours par semaine. »

« Mais j'ai hâte qu'elle finisse, ajoute M. Martin. On va pouvoir partir longtemps et faire du camping avec mes petits-enfants. »

Le retraité de chez Kraft a travaillé fort pour profiter de la vie comme jamais auparavant. Il se compte néanmoins chanceux d'avoir droit à une retraite dorée. « Mes parents n'avaient pas les moyens d'avoir une bonne retraite. Nous, avec nos emplois, on a fait des heures supplémentaires en masse et on a eu un bon fonds de pension. Je n'étais jamais allé dans le Sud. Là, ça fait trois voyages qu'on fait, à Cuba, au Mexique et en République. C'est ça qu'on appelle une belle vie. »

Pour M. Martin, la retraite rime avec « nouveau ». C'est quand il travaillait, que sa vie était davantage du pareil au même. « Je ne m'étais jamais entraîné. Là, je vais à Énergie Cardio et j'ai commencé à jouer aux quilles trois fois par semaine. »

« Quand vous repensez aux hauts et aux bas de votre vie, comment calculez-vous votre bonheur, aujourd'hui, sur une échelle de 1 à 10 ?

- Dix sur dix, répond-il sans hésiter. J'ai la santé, donc c'est fantastique. Je touche du bois. »

Changer de cap

« On n'est pas rangé sous prétexte qu'on est ce qu'on appelle un aîné, lance le gérontologue Hubert De Ravinel, qui est aussi auteur et conférencier sur le vieillissement. À 80 ans, Albert Jacquard a dit : « Je proclame le privilège de changer de cap. » »

Cela peut se faire à différents niveaux. « Se découvrir un talent, se marier, ou encore émigrer, indique M. De Ravinel. Il y a des gens qui se disent : sans inconnu et sans nouveauté, je vais être malheureux. Je veux des choses qui vont changer le courant de ma vie. »

Une femme de 91 ans lui a déjà lancé à la blague. « J'apprends l'anglais. Ça pourrait peut-être me servir un jour. »

Le gérontologue s'est lui-même mis à apprendre le russe à 70 ans. « La gym du cerveau est essentielle pour bien vieillir », assure-t-il.

Parlez-en à Suzanne Chouinard, qui, à 70 ans, est en voie d'obtenir son premier baccalauréat. « J'en suis à mon troisième certificat. J'ai commencé il y a 10 ans. À un cours par session, je vais avoir mon bac dans quatre ans », lance-t-elle fièrement.

C'est un baccalauréat en gérontagogie qu'offre l'Institut universitaire du troisième âge de Montréal.« La gérontagogie par rapport à la gérontologie, c'est l'éducation de la personne âgée versus l'étude de la personne âgée, précise Mme Chouinard. Nous avons des cours de bio, de socio et de religion. » Ce sont les cours de philo qu'elle aime le plus « car tout le monde a raison », blague-t-elle.

La femme a une « 12e année générale ». Ses enfants sont allés à l'université. « Moi, c'était mon rêve. Mais quand j'étais jeune, l'université, tu n'y pensais même pas. Je voulais être infirmière, mais on avait besoin de moi à la maison. »

C'est une annonce dans le journal local qui lui a fait connaître l'Institut universitaire du troisième âge, situé sur la rue Fleury. Aujourd'hui, elle fait plus qu'y étudier. Elle y est bénévole comme secrétaire administrative. « Je suis quasiment rendue à cinq jours semaine. »

En 2001, elle a même fait un échange étudiant avec l'Espagne pendant 54 jours. « C'était fantastique ! Mais mon mari a trouvé ça un peu long », raconte-t-elle en riant.

Mme Chouinard le dit elle-même : elle n'arrête pas . « Mon frère qui vit en Floride joue au golf. Moi, je suis une femme de tête ! »

Trop, c'est comme pas assez...

Pour certaines personnes, la retraite entraîne « une peur du vide », dit Claire Blanchard- de Ravinel.

Quand elle donne des conférences avec son mari Hubert, la femme de 66 ans rappelle aux « retraités » l'importance d'être actif, mais aussi de prendre du temps pour soi. « C'est une partie de la vie où on est libre. Je fais une activité ou je reste dans mon lit pour lire un bon livre. »

« Aux États-Unis, il y a des cliniques pour soigner des burn-out de retraités trop actifs. Déperformer, c'est aussi important en vieillissant », souligne son mari.

M. de Ravinel tient à préciser qu'il parle ici de gens bien nantis. « Une très grande partie des retraités ont des problèmes financiers. C'est difficile de leur parler de qualité de vie quand ils sont inquiets de payer le loyer. »

Il reste qu'en remplissant leur agenda, certains retraités tentent d'oublier le fait qu'ils vieillissent. Ils n'acceptent pas d'être un ex-plombier ou un ex-médecin. « Comme si ne pas être dynamique dans notre société, c'était un blâme, explique M. de Ravinel. Dans le déni de vieillir, il y a la crainte de la maladie. C'est humain. On n'aime pas se voir diminuer et on craint le regard des autres. »

Il faut faire attention de juger trop vite le « vieux » qui change de vie, souligne toutefois Luce Des Aulniers, anthropologue à l'UQAM. « Il y a une panoplie de motivations et de justifications. Un voyage en Inde, changer de blonde ou se teindre les cheveux, ce n'est pas nécessairement une fuite. Cela peut-être une conscience du temps. »

Avoir l'air jeune ou se tester devant de nouvelles limites peut traduire de l'angoisse comme de la jubilation. Elle convient tout de même qu'« avec une culture axée sur la performance et les apparences de fraîcheur, il y a un risque qu'on veuille reconduire ces critères ad vitam aeternam. »

Sa conclusion : « Marcher lentement, ça permet de voir beaucoup de choses ».