Au point de départ, il y a eu un article bâclé paru il y a une dizaine de jours dans les pages culturelles du tabloïd suédois Aftonbladet. Au point d'arrivée: de grosses turbulences diplomatiques entre Stockholm et Tel-Aviv, doublées d'un débat sur les limites de la liberté d'expression.

L'article, qui a mis le feu aux poudres, portait un titre accusateur: «Les organes de nos fils pillés». Son auteur, le journaliste Donald Bostrom, reprend des rumeurs qui remontent au début des années 90, accusant l'armée israélienne d'avoir couvert un trafic d'organes prélevés sur des détenus palestiniens.

 

Le journaliste profite de l'arrestation récente d'un Juif américain accusé d'avoir trempé dans une affaire de trafic de reins pour remettre à l'ordre du jour ce sujet sur lequel il avait écrit il y a plus de 15 ans. La récente arrestation devrait conduire à une enquête sur ses anciennes allégations, affirme-t-il dans son papier.

Il se contente d'y citer d'anciennes sources anonymes de l'ONU et une famille palestinienne qu'il avait rencontrée à l'époque. Pas de nouveaux faits, pas de contre-vérifications pour des accusations extrêmement graves, fondées sur une association entre deux faits divers éloignés autant dans l'espace que dans le temps.

Grosse commmotion

En Israël, l'affaire a causé une grosse commotion. Profitant d'une réunion du

Conseil des ministres, dimanche, le premier ministre Benyamin Nétanyahou a pressé le gouvernement suédois de condamner le journal. Stockholm a refusé, au nom de la liberté de presse.

Le ministre israélien des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, en a alors remis, faisant un lien entre la retenue du gouvernement suédois et son silence face à l'Holocauste. Un autre ministre a remonté encore plus loin dans le temps et a comparé l'article du tabloïd suédois aux légendes accusant les Juifs de faire du pain azyme avec le sang d'enfants chrétiens.

Puis l'ambassadrice de Suède à Tel-Aviv a plié sous la pression, s'excusant au nom de son gouvernement pour l'article de Donald Bostrom. L'affaire a immédiatement rebondi en Suède, où les médias lui sont tombés dessus, l'accusant d'avoir outrepassé les limites de la liberté d'expression.

En Israël, beaucoup de médias se sont rangés derrière leur gouvernement. Sauf le libéral Haaretz, qui l'a l'accusé d'avoir sombré dans «une réaction délirante et démagogique».

Représailles

Après les mots, les gestes. Israël a décidé, en guise de rétorsion, de retarder l'accréditation journalistique à deux reporters du Aftonbladet. La visite prochaine du ministre des Affaires étrangères suédois Carl Bildt a également été remise en cause. Et des milliers d'Israéliens ont signé une pétition appelant au boycottage de tout ce qui vient de Suède, à partir des meubles Ikea jusqu'à la vodka Absolut, en passant par la Volvo et les magasins H&M.

Cette chicane diplomatique a été comparée à la fameuse affaire des caricatures de Mahomet publiées par un journal danois il y a quatre ans et qui avaient soulevé la fureur dans le monde musulman. Là aussi, on avait appelé un gouvernement à dénoncer la décision éditoriale d'un journal.

Responsabilité

Mais les gouvernements doivent-ils porter la responsabilité des médias de leur pays lorsque ceux-ci publient n'importe quoi? Non, estime l'organisme Reporters sans frontières. «Quel que soit le contenu de cet article, et même si nous comprenons qu'il ait pu engendrer de la colère au sein de l'opinion publique israélienne, le gouvernement israélien devrait s'abstenir de demander à son homologue suédois d'intervenir», écrit-il dans un communiqué.

Autrement dit, le journal est seul responsable de son contenu. S'il dérape, Israël peut toujours le poursuivre pour diffamation. Le gouvernement suédois n'a rien à voir là-dedans. Et mieux vaut qu'il ne commence pas à distribuer des blâmes aux journaux: la pente pourrait s'avérer glissante. Le plus paradoxal dans toute cette affaire, c'est que l'article de Donald Bostrom, paru dans les dernières pages du journal suédois, a profité d'une diffusion internationale comme il n'en aurait jamais eu sans l'intervention des dirigeants israéliens.