Les inquiétudes entourant la Syrie ont monté d'un cran hier alors que des rapports affirment qu'au moins 23 manifestants ont été tués entre mardi et hier à Hama. Selon un réfugié syrien, qui a accordé une entrevue exclusive à La Presse, la situation se dégrade rapidement dans l'ensemble du pays, quadrillé par les forces de sécurité et les chars d'assaut.

Une question, une gifle. Pendant les heures qu'il a passées aux mains des autorités syriennes, Hassan (nom fictif) a vu des étoiles. À répétition. «Ce n'était rien comparé à ce subissaient les détenus dans les autres cellules. J'entendais les cris. Moi, j'ai eu de la chance», raconte le jeune Syrien, presque gêné de s'en être sorti à si bon compte.

Hassan n'est plus en Syrie. Il y a quelques jours, il a réussi à se cacher dans la voiture de son cousin qui l'a conduit à la frontière de la Turquie, où au moins 10 000 de ses compatriotes sont aussi réfugiés. Pendant le dangereux voyage qu'il a entrepris pour fuir, le pays qu'il a vu par la fenêtre ne ressemblait en rien à la Syrie d'avant le printemps arabe. «Il y a de l'armée partout. Des tanks. C'est comme la guerre», note le jeune homme dans la vingtaine, en avalant un sanglot.

L'entrevue se déroule par vidéoconférence sur Skype. Visiblement épuisé, Hassan, dont nous tairons la véritable identité pour des raisons de sécurité, raconte son histoire en prenant de grandes respirations. Quand il se met soudainement à pleurer, en parlant des dangers auxquels sa famille, restée en Syrie, fait face, il ferme la caméra.

Une semaine mouvementée

«Les autorités menacent de couper l'eau. L'électricité. De laisser les gens mourir de faim. Il y a tellement de gens tués tous les jours. Des jeunes hommes. Des enfants. Il faut raconter ce qui se passe», plaide-t-il, ému. Les derniers rapports d'organisations syriennes de défense des droits font état de 1350 morts parmi la population civile depuis le début des manifestations à la mi-mars .

Le séjour d'Hassan en Syrie a été de courte durée. Installé à l'étranger depuis quelques mois, il est rentré dans sa ville natale il y a moins de deux semaines. Ayant de la difficulté à joindre sa famille, il voulait s'assurer que ses proches allaient bien.

Des agents l'ont arrêté dans un café internet. Sa petite amie, qui était en conversation virtuelle avec lui, a suivi toute la scène et pu alerter sa famille.

Terreur dans les prisons

«En prison, on me disait que j'avais rapporté de l'argent en Syrie pour financer les manifestants. Ils (les gardes) m'ont battu et ils m'ont insulté. Ils me sommaient de dire: «Bachar al-Assad est ton seul Dieu», au lieu de: «Allah est mon seul Dieu», comme nous disons dans l'islam», raconte-t-il, en ajoutant que c'est l'intervention rapide de son père qui lui a épargné les pires sévices.

Selon Amnistie internationale, qui a publié hier un rapport sur les violations des droits de la personne en Syrie, les mauvais traitements qu'a subis Hassan sont répandus dans les prisons syriennes où, note l'organisation internationale, au moins neuf personnes sont mortes au cours des dernières semaines. Des détenus qui ont été libérés ont rapporté avoir été giflés, torturés et électrocutés. «La prison dans laquelle j'étais ressemblait à Abou Ghraïb», commente Hassan, en faisant référence à la controversée prison américaine en Irak.

Amnistie internationale estime que certaines des atrocités commises en Syrie par les forces de sécurité «s'apparentent à des crimes contre l'humanité» et demande à l'Organisation des Nations unies (ONU) d'enquêter. De sa terre d'asile, Hassan se demande pourquoi le Conseil de sécurité de l'ONU ne donne pas le feu vert à une intervention de l'OTAN dans son pays, comme en Libye. «Pour l'instant, les gens n'ont que des pierres pour se défendre. C'est tragique.»

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Crimes contre l'humanité

Assiégée par l'armée syrienne, la ville de Talkalakh a été la cible d'une lourde opération de sécurité au mois de mai. Dans un rapport publié hier, Amnistie internationale conclut qu'il y a lieu de croire que les autorités syriennes y ont commis des «crimes contre l'humanité «. « Les crimes incluent des meurtres, de la torture, de la détention arbitraire (...), ainsi que des actes inhumains commis intentionnellement pour causer de grandes souffrances «, écrit l'organisation, établie à Londres.

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Hama, ville martyre à nouveau?

En Syrie, la ville de Hama est un symbole depuis que 20 000 personnes y ont été tuées en 1982 par le régime de Hafez al-Assad, le père de l'actuel président syrien. Plusieurs craignent que la ville ne soit à nouveau le théâtre d'une terrible répression. Selon plusieurs rapports, l'armée syrienne encercle la ville où près de 500 000 personnes ont manifesté vendredi dernier. Au cours des deux derniers jours, au moins 23 personnes ont été tuées.