Le président ukrainien, ancien comédien, doit maintenant se faire chef de guerre, rôle de composition s’il en est

« Je resterai dans la capitale. Ma famille est aussi en Ukraine. Selon des informations en notre possession, l’ennemi m’a identifié comme la cible numéro 1. Et ma famille comme la cible numéro 2 », a déclaré le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, dans un message vidéo à ses compatriotes jeudi.

La mine sombre, debout derrière un lutrin, l’homme de 44 ans, père de deux enfants, avait troqué son veston noir contre un chandail kaki. L’ex-comédien est devenu politicien en faisant campagne entre autres sur sa volonté de rétablir la paix. C’est plutôt le rôle de chef de guerre qu’il a été forcé d’endosser jeudi après l’attaque russe.

PHOTO FOURNIE PAR LA PRÉSIDENCE UKRAINIENNE, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, apparaît dans un message vidéo adressé à ses compatriotes tard jeudi.

« Je suis très inquiet pour lui, parce que l’objectif des Russes, c’est de prendre d’assaut l’appareil gouvernemental et de les arrêter, et qui sait ce qui va arriver ensuite, a dit Dominique Arel, professeur et titulaire de la Chaire en études ukrainiennes de l’Université d’Ottawa. Je crains pour sa santé, pour sa vie. Parce que je pense qu’il va avoir le courage de rester [au pays]. »

Russophone

Plus à l’aise en russe qu’en langue ukrainienne, comme bon nombre de ses compatriotes, Volodymyr Zelensky est originaire d’une région voisine du Donbass, secoué par un conflit avec les séparatistes prorusses depuis 2014. Il a étudié en droit, avant de se tourner vers le domaine artistique.

Sa vision des relations Ukraine-Russie détonne avec le scénario habituellement mis de l’avant par le Kremlin. « Zelensky symbolise justement que le russophone qui est supposé être prorusse, pro-Poutine est en fait prêt à se battre pour la souveraineté de son pays, explique M. Arel. C’est ce qui est saisissant. »

Zelensky n’est pas un nationaliste radical, c’est un Ukrainien russophone, d’origine juive, qui fait tout pour défendre son pays, ce qui contredit complètement l’espèce de construction de l’Ukraine de Poutine.

Dominique Arel, titulaire de la Chaire en études ukrainiennes de l’Université d’Ottawa

Volodymyr Zelensky a tenu la vedette d’une comédie où il campait un enseignant propulsé à la tête du pays pour son honnêteté. Le titre de l’émission est devenu le nom de son parti : Serviteur du peuple. Comme son personnage, il s’est présenté en s’opposant à la corruption et a reçu un fort appui populaire, avec 73 % des voix en 2019.

Notoriété et critiques

Si les Ukrainiens ont d’abord connu leur président au petit écran, il a atteint une certaine notoriété dans le reste du monde pour avoir été, malgré lui, au centre de la première procédure en destitution contre Donald Trump – accusé d’avoir demandé à son homologue ukrainien une enquête sur les Biden pour discréditer son adversaire politique.

L’inexpérience politique de Zelensky a d’abord été accueillie comme une bouffée d’air frais. Sa popularité s’est cependant étiolée au fil des ans. Ses détracteurs lui ont reproché l’absence de réformes réelles pour endiguer la corruption, endémique, malgré ses promesses. Il a été présenté par ses critiques comme un être superficiel, plus axé sur l’apparence que sur les changements attendus.

On lui a aussi reproché un épiderme trop sensible, engendrant plusieurs congédiements. Même si sa cote de popularité a chuté, il n’a pas été dépassé par un autre politicien, note David R. Marples, professeur à l’Université d’Alberta.

Zelensky n’a pas été chanceux. Premièrement, il a été impliqué dans l’histoire de la destitution de Trump, et il était désespéré de ne pas offenser les États-Unis. Ensuite, il est embarqué dans cette guerre pour laquelle il a très peu de responsabilités personnelles – il n’a pas créé cette situation.

David R. Marples, professeur à l’Université d’Alberta

Certains gestes, comme l’arrestation d’un membre de l’opposition, figure majeure prorusse, ont pu attiser la Russie, dit-il. « Mais [Zelensky] les considérait probablement comme nécessaires en raison du danger des forces prorusses au sein du Parlement. »

Liberté d’expression

Les critiques, quelles qu’elles soient, sont aussi un exemple d’une liberté d’expression présente en Ukraine, mais qui fait défaut chez son voisin, argue Roman Serbyn, professeur à la retraite de l’Université du Québec à Montréal d’origine ukrainienne.

« Zelensky ne joue pas un rôle aussi important en Ukraine que celui que Poutine joue en Russie, souligne-t-il. Parce qu’en Russie, toutes les décisions sont prises dans la tête de Poutine. En Ukraine, Zelensky est quand même obligé de tenir compte des conseils de différents ministres, etc. »

Les prochains jours pourraient être décisifs pour le président ukrainien.

« Je pense qu’il a été très brave, estime M. Marples. Sans aucun doute. Que ce soit la meilleure personne ou non pour la situation, je pense qu’il faut quand même reconnaître qu’il s’en tire correctement, toutes choses prises en compte. »

Avec l’Agence France-Presse