Les géants du numérique comme Meta, Google et X doivent en faire plus pour lutter contre la désinformation et les appels à la haine en ligne à l’approche d’une nouvelle année qui sera particulièrement riche sur le plan électoral.

Ce qu’il faut savoir

Une coalition internationale regroupant plusieurs acteurs de la société civile préoccupés par l’impact de la désinformation en ligne presse les géants du numérique d’intensifier leurs efforts en matière de modération de contenu.

Leur appel survient à l’approche de 2024, une année riche en élections durant laquelle plus de deux milliards de personnes seront appelées aux urnes.

L’inquiétude des membres de la coalition est exacerbée par le fait que la modération de contenu, lorsqu’elle existe, cible d’abord et avant tout les États anglophones, États-Unis en tête, laissant nombre de pays « sans protection » sur ce plan.

La Global Coalition for Tech Justice, qui regroupe des acteurs de la société civile de tous les continents, estime qu’un coup de barre à ce sujet est urgent puisque l’insuffisance des mesures existantes menace la vie démocratique de nombreux pays.

« Il s’agit de l’un des plus importants défis de notre époque », souligne en entrevue Alexandra Pradal, qui coordonne la campagne à partir du Royaume-Uni.

L’impact des réseaux sociaux sur l’écosystème de l’information, la vérité et la justice est comparable à celui du réchauffement climatique sur la planète.

Alexandra Pradal, de la Global Coalition for Tech Justice

Les organisations membres de la coalition, qui ont rebaptisé 2024 « l’année de la démocratie », s’alarment du fait que les résidants de plus d’une soixantaine de pays, regroupant plus de deux milliards de personnes, sont appelés aux urnes alors que les pratiques de modération de contenu demeurent largement déficientes sur plusieurs plateformes.

Mme Pradal et ses collègues se sont adressées il y a quelques mois aux grands acteurs du secteur pour leur demander quel était leur plan d’action à ce sujet avant la tenue d’élections importantes aux États-Unis, en Inde, au Mexique et ailleurs, sans obtenir de réponse.

Le cas X

La plupart des entreprises se sont montrées ouvertes au dialogue, mais n’ont pas donné de détails sur leurs intentions. D’autres, comme X, qui multiplie les polémiques depuis l’arrivée à sa tête de l’entrepreneur Elon Musk, ont simplement ignoré leurs questions.

M. Musk, qui se présente comme un défenseur de la liberté d’expression, a soulevé d’importantes protestations en annonçant sa décision de sabrer la modération de contenu et s’est vu reprocher de permettre une recrudescence de discours haineux en ligne.

L’attention qu’il reçoit est contre-productive puisqu’elle permet aux autres géants du numérique de revoir à la baisse leurs façons de faire, juge Mme Pradal.

Comme c’est Musk qui reçoit toute la pression, les autres se disent qu’ils peuvent en faire moins sans avoir à en payer le prix.

Alexandra Pradal, de la Global Coalition for Tech Justice

Elle s’alarme notamment des pratiques des propriétaires de TikTok, qui tardent à se doter de mesures efficaces pour contrer la désinformation et la manipulation même si ce réseau social exerce une influence considérable dans nombre de pays.

Mme Pradal dénonce par ailleurs les actions de Meta, propriétaire de Facebook et d’Instagram, qui concentre l’essentiel de ses efforts en matière de modération de contenu aux États-Unis et à la sphère anglophone.

Lors de l’élection présidentielle américaine de 2020, près de 90 % des ressources disponibles ont été mobilisées à cette fin même si la vaste majorité des utilisateurs de Facebook vivent à l’extérieur du pays, déplore la porte-parole de la coalition.

L’Inde « en train de se déchirer »

La gravité de la situation est exacerbée par le fait que Meta, à l’instar d’autres opérateurs de réseaux sociaux importants, manque de modérateurs disposant d’une expertise culturelle ou linguistique adaptée pour intervenir efficacement en Asie, en Amérique latine ou en Afrique, ce qui favorise les dérapages.

La Coalition donne à ce titre l’exemple de l’Inde, où nombre de partisans et d’élus ultranationalistes hindous associés au parti du premier ministre Narendra Modi inondent les réseaux de discours islamophobes.

« Le pays est en train de se déchirer », note Mme Pradal, qui presse les législateurs de partout de « prendre leurs responsabilités » avant qu’il ne soit trop tard.

[Les législateurs] doivent mettre de la pression sur les entreprises du secteur numérique, sinon aucun pays ne sera en sécurité.

Alexandra Pradal, de la Global Coalition for Tech Justice

La militante se félicite du fait que l’Union européenne ait durci son approche sur le plan législatif afin de contraindre les firmes exploitant des réseaux sociaux à intervenir rapidement pour retirer le contenu jugé problématique.

Elle prévient cependant qu’il faudra voir comment la loi est appliquée pour mesurer précisément son impact.

Les législateurs américains refusent parallèlement de revenir sur la loi empêchant les réseaux sociaux d’être tenus responsables juridiquement des contenus publiés par leurs utilisateurs.

« Il est temps que les politiciens passent à l’action pour défendre la démocratie », souligne Mme Pradal.