La mythique police internationale célèbre ses 100 ans. Mais il n’y a pas nécessairement de quoi fêter…

Nom

Interpol

Âge 

100 ans

Fonction 

Faire le lien avec les services policiers du monde entier

Signes distinctifs 

Succès, passé sombre, sous-financement

Pourquoi on en parle

L’organisation internationale de police criminelle soulignait cette semaine ses 100 ans d’existence, lors d’un congrès tenu à Vienne, sa ville de fondation.

Une structure internationale

En un siècle, Interpol n’a cessé de grandir. Depuis sa fondation, l’organisation est passée de 23 à 196 pays membres (le Canada a adhéré en 1949). Déménagée à Lyon, en France, après la Seconde Guerre mondiale, elle compte aujourd’hui près de 1000 employés répartis en trois centres principaux (Buenos Aires, Lyon, Singapour) et près de 200 points de relais dans le monde. Sa mission ? Transmettre à son réseau des avis de recherche internationaux – les fameuses « notices rouges » – afin de trouver des criminels en fuite.

Arrestations notoires

Oubliez le personnage campé par Dwayne Johnson dans le film Red Notice. L’agent d’Interpol ne passe pas les frontières un revolver à la main. Il reste généralement à son bureau, consultant de gigantesques bases de données sur ordinateur, soit environ 125 millions de fichiers policiers, pour 16 millions de recherches quotidiennes. Au fil des ans, l’organisation a quand même contribué à des arrestations notoires, comme celle de l’ancien dirigeant politique serbe de Bosnie Radovan Karadzic, en fuite pendant près de 13 ans. Ou celle du tueur en série français Charles Sobhraj, dit Le Serpent. Avec l’aide d’Interpol, l’Italie est aussi parvenue ces dernières années à resserrer son étau autour de la’Ndrangheta, la plus puissante mafia de la péninsule.

PHOTO PETER DEJONG, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

L’ancien dirigeant politique serbe de Bosnie, Radovan Karadzic

Un passé noir

Malgré ses indéniables succès, Interpol est loin d’avoir un score parfait. C’est du moins ce que révèlent les journalistes Mathieu Martinière et Robert Schmidt dans le tout récent livre Interpol : l’enquête, qui expose les dessous d’une « police sous influence ». On y apprend notamment que l’organisation fut sous la coupe du régime nazi entre 1938 et 1945, une information qu’elle a longtemps dissimulée. « On les a challengés là-dessus, raconte Mathieu Martinière, joint à Lyon. Jusqu’à cette année, ils minimisaient ce passé nazi… Il a fallu qu’on interviewe le secrétaire général [Jürgen Stock] pour qu’enfin ils le reconnaissent. » Interrogé par l’AFP cette semaine, M. Stock a parlé d’un « oubli involontaire », désormais réparé…

Un manque de moyens humains

Autre part sombre : le manque de moyens. Interpol est subventionnée par ses 196 États membres. Mais son budget de 230 millions CAN par année limite sa marge opérationnelle. Le livre de Robert Schmidt et de Mathieu Martinière nous apprend entre autres que seulement 40 experts sont affectés à l’équipe chargée de valider les quelque 20 000 « notices rouges » réclamées chaque année par différents pays. Un chiffre largement insuffisant en regard de la somme de dossiers à analyser, ce qui augmente forcément le risque d’erreurs judiciaires. Il faut savoir que certains États sont tentés d’instrumentaliser Interpol pour traquer leurs propres dissidents dans le monde. Or, Mathieu Martinière estime que « le manque de moyens humains » est à la source de « plusieurs centaines de notices rouges et de décisions problématiques » par an, alors qu’Interpol doit en principe demeurer neutre sur les plans politique, religieux ou racial. « Potentiellement, ce sont des innocents qui peuvent être arrêtés, extradés ou torturés, souligne Mathieu Martinière. Interpol se défend en disant que ce sont seulement 5 % des notices qui posent problème. Soit. Mais 5 %, ce n’est pas anodin. »

Des partenariats douteux

Autre motif d’inquiétude : Interpol compense son sous-financement par des compromis douteux. Au début des années 2000, l’organisation s’est ainsi tournée vers des partenaires privés comme le cigarettier Philip Morris, la Fédération internationale de football (FIFA) ou de grosses entreprises pharmaceutiques. Le secrétaire général Jürgen Stock a mis un terme à ces partenariats douteux, préférant se rabattre sur les contributions financières importantes de régimes contestés comme le Qatar, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (EAU). Les Émirats ont ainsi fait un don de 50 millions d’euros (75 millions CAN) à Interpol en 2016, devenant le deuxième contributeur de l’organisation après les États-Unis. « Le problème, explique Mathieu Martinière, c’est que les Émirats sont un État notoirement policier, accusé de crimes de guerre au Yémen, dans la coalition menée avec l’Arabie saoudite. Ils cherchaient clairement à utiliser Interpol pour blanchir leur image et acheter de l’influence. » Coïncidence ? Le président actuel de l’organisation est le général-major Ahmed Naser Al-Rais, de nationalité émiratie. Son rôle est essentiellement protocolaire, répond Interpol qui défend son indépendance.

PHOTO JOE KLAMAR, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le secrétaire général d’Interpol, Jürgen Stock

Faire travailler le public

L’organisation, dans tous les cas, semble avoir trouvé une façon de pallier son manque de personnel. Elle a lancé en mai une campagne inédite, faisant appel au grand public pour l’identification des corps de 22 femmes retrouvés sur plusieurs décennies en Allemagne, en Belgique et aux Pays-Bas. L’une d’entre elles, dite « la femme à la fleur tatouée », tuée en 1992, a ainsi pu récemment recouvrer son nom, Rita Roberts.

Avec l’Agence France-Presse