Enlevée en mars dernier alors qu'elle travaillait dans une clinique de Médecins sans frontières au Soudan, Laura Archer s'est faite discrète à son retour à Montréal. Elle n'a pas enterré ses souvenirs pour autant: l'infirmière et artiste a passé la dernière année à peindre «son» Darfour. Le meilleur comme le pire. Avant de repartir en mission, elle a accordé une rare entrevue à notre journaliste.

Une immense paire d'yeux glaciaux semble vouloir s'arracher du mur. «Ce sont les yeux d'un de mes kidnappeurs. C'est ce que tout le monde veut voir en premier», laisse tomber Laura Archer en montrant sa plus récente création artistique. Mais derrière l'immense banderole, qui sera la pièce maîtresse de son exposition, il y a 1800 fois plus.

En regardant l'oeuvre de plus près, on s'aperçoit que pour recréer le regard d'un des six hommes qui l'ont gardée prisonnière avec trois collègues pendant plus de trois jours en mars 2009, celle qui est à la fois infirmière et artiste a dû créer une mosaïque à partir de 1800 photos qu'elle a prises alors qu'elle travaillait pour Médecins sans frontières dans des zones reculées du Darfour d'octobre 2008 à mars 2009.

Ces photos sont celles des déplacés du conflit qui a éclaté dans cette région aride de l'ouest du Soudan en 2003 et de la crise politique et humanitaire qui s'éternise. «J'ai été libérée, mon histoire a une fin heureuse, mais ces gens-là, eux, sont toujours les otages des mêmes personnes qui m'ont kidnappée», explique la jeune femme de 32 ans, en marchant dans le loft du quartier Saint-Henri où elle a récemment élu domicile.

Témoins disparus

Malgré la distance qui la sépare du Darfour, elle s'inquiète plus que jamais pour ceux qu'elle a rencontrés et soignés. «Je ne suis pas une analyste politique, mais pendant que les yeux du monde sont tournés vers le référendum (sur la possible sécession du nord et du sud du Soudan), le Darfour, lui, est oublié, se désole l'infirmière qui a aussi travaillé au Congo-Kinshasa, en République centrafricaine et au Tchad. Si on en entend moins parler, c'est notamment parce qu'il n'y a plus de témoins dans les zones où nous opérions.»

Après la délivrance d'un mandat d'arrêt par la Cour pénale internationale contre le président soudanais Omar al-Bachir le 8 mars 2009, la plupart des organisations étrangères qui travaillaient au Darfour ont été mises à la porte du Soudan.

Médecins sans frontières y a maintenu une partie de ses activités, mais a dû se résoudre à fermer la clinique de Saraf Umra, où travaillait Laura Archer, après le l'enlèvement du 11 mars dernier, soit trois jours après l'inculpation du président.

Ce jour-là, l'infirmière montréalaise, un médecin italien, un coordonnateur français et un garde soudanais ont été enlevés par des hommes armés qui criaient en arabe, lancés dans un camion, trimballés pendant des heures puis cachés. Trois jours plus tard, un avion présidentiel les a ramenés à Khartoum en bonne santé, mais ébranlés. «Ce n'est pas une expérience que j'aimerais revivre, mais je suis néanmoins contente que ça me soit arrivé à moi plutôt qu'à d'autres de mes collègues. Ça ne m'a pas fuckée», dit la jeune femme au franc-parler, mais au visage d'ange.

Battage médiatique

Elle dit avoir trouvé le retour au pays parfois plus difficile que les trois jours de son enlèvement. Des journalistes l'attendaient sur son palier pour qu'elle témoigne. «Si j'avais pu dire quelque chose d'utile, qui aurait changé les choses au Darfour, j'aurais parlé, mais je ne voulais pas être la mascotte blonde qui représentait MSF», dit-elle sans détour.

Encore aujourd'hui, Laura Archer ne peut révéler ce qu'elle sait sur ses agresseurs afin de ne pas mettre en danger les employés de Médecins sans frontières qui travaillent toujours au Soudan, autant dans les zones gouvernementales que dans celles contrôlées par les groupes rebelles. Elle se permet néanmoins un commentaire.

«Notre kidnapping était une action politique. Et ça a bien fonctionné. Nous sommes partis. Bien joué, les gars», ironise la jeune femme. Sa mésaventure ne l'a cependant pas éloignée à jamais du travail humanitaire. D'ici quelques mois, elle fera ses valises pour sa prochaine mission.

Le fruit du travail artistique de Laura Archer sera exposé dès le mois prochain au Centre de la Confédération de Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard), sa ville natale, mais est déjà en ligne à www.lparcher.com.