À l’issue d’une trêve fragile de plusieurs mois, les combats ont repris dans le nord de l’Éthiopie entre les rebelles du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) et les troupes fédérales du gouvernement du premier ministre Abiy Ahmed.

L’Agence France-Presse faisait état mardi de l’avancée vers le sud des forces tigréennes dans la région voisine d’Amhara sur une distance d’une cinquantaine de kilomètres et d’une poussée vers le sud-est dans l’Afar, une autre région limitrophe.

Dans la nuit de mardi à mercredi, un raid de drone avec « au moins trois bombes qui auraient été lâchées » sur Mekele, capitale de la région du Tigré, serait survenu, selon Getachew Reda, porte-parole des autorités rebelles du secteur, qui dit mener une « guerre défensive » depuis la reprise des hostilités. L’attaque aurait fait des blessés. Des informations qui ne sont pas vérifiables de façon indépendante parce que les journalistes n’ont pas accès au nord de l’Éthiopie.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Carte de l’Éthiopie

Martin Plaut, un spécialiste de la Corne de l’Afrique qui suit de près l’évolution du conflit, note que les deux camps s’accusent « encore une fois » mutuellement d’être responsables de la reprise des hostilités, sans qu’il soit possible de voir clair dans la situation sur le terrain, faute d’observateurs indépendants.

« Ce qui est clair, c’est qu’ils étaient absolument prêts de part et d’autre pour une nouvelle ronde d’affrontements », relève M. Plaut, qui s’inquiète de leur incidence sur les populations de la région.

L’objectif premier des dirigeants tigréens, dit-il, est de briser le blocus imposé par le gouvernement central, qui limite l’entrée sur le territoire de l’aide alimentaire requise par une partie importante de la population.

PHOTO CLAIRE NEVILL, PROGRAMME ALIMENTAIRE MONDIAL, FOURNIE PAR L’AGENCE FRANCE-PRESSE

Le vraquier MV Brave Commander au port de Djibouti, chargé de 30 000 tonnes de blé ukrainien destiné à la population éthiopienne, est le premier à arriver dans la région depuis février.

La trêve annoncée par Addis Abeba au printemps avait permis aux travailleurs humanitaires d’intensifier leurs activités, mais le matériel acheminé sur place est resté bien en deçà des besoins requis pour résorber la crise.

Dans son plus récent bilan dévoilé la semaine dernière, le Programme alimentaire mondial (PAM) a indiqué que 89 % de la population du Tigré avait maintenant besoin d’aide alimentaire, comparativement à 83 % au début du mois de janvier.

Le nombre de personnes aux prises avec un manque « sévère » de nourriture a bondi parallèlement de 37 % à 47 % durant la même période.

« La faim s’est aggravée, les taux de malnutrition ont grimpé en flèche et la situation promet de s’aggraver encore alors que la population entre dans la période la plus critique sur le plan alimentaire avant les récoltes annuelles en octobre », a prévenu l’organisation.

La distribution d’aide a aussi été compliquée récemment par des différends avec les autorités tigréennes, qui se sont vu reprocher la semaine dernière par le PAM d’avoir saisi un demi-million de litres d’essence devant servir à des fins humanitaires.

M. Plaut note que la poussée des forces tigréennes vers le sud pourrait avoir pour objectif de faire pression sur le gouvernement central et de l’obliger à des concessions sur le plan humanitaire.

On ne peut exclure, ajoute-t-il, qu’elles tentent de se rendre jusqu’à la capitale, Addis Abeba, possiblement en coordonnant leur action avec un groupe rebelle actif dans la région d’Oromia, dans le sud du pays.

Objectifs difficiles à déterminer

William Davison, un analyste de l’International Crisis Group (ICG), relève que les objectifs militaires poursuivis par les deux camps sont difficiles à déterminer à ce stade.

Une « escalade continue des combats » pourrait notamment amener, dit-il, les troupes fédérales à tenter de nouveau de renverser le gouvernement tigréen.

PHOTO TIKSA NEGERI, ARCHIVES REUTERS

Abiy Ahmed, premier ministre d’Éthiopie

Abiy Ahmed, qui a reçu le prix Nobel de la paix pour ses efforts d’apaisement avec l’Érythrée voisin, a lancé une vaste offensive en novembre 2020 pour venir à bout du TPLF à la suite de la tenue d’élections régionales marquant leur volonté de rupture avec le gouvernement central.

Les dirigeants tigréens avaient longtemps eu la main haute sur l’Éthiopie avant d’être chassés du pouvoir par l’élection de M. Abiy, qui les décrit comme des « terroristes » cherchant à miner la cohésion du pays.

Les troupes fédérales avaient rapidement pris le contrôle de la capitale régionale, Mekele, avant d’être repoussées l’année suivante hors du territoire par les rebelles.

Selon M. Plaut, les dirigeants tigréens réclamaient que le gouvernement central rétablisse les services de base interrompus dans la foulée de la reprise de la ville (électricité, communications, accès au système bancaire) avant de s’engager dans des négociations de paix. Ils réclamaient par ailleurs le retour des territoires occupés dans l’ouest du Tigré.

Le gouvernement fédéral, note l’analyste, a demandé pour sa part que les discussions aillent de l’avant « sans condition préalable ».

William Davison relève que le processus de paix a failli en raison du « manque de confiance » entre les deux camps et de leur scepticisme quant à la possibilité d’atteindre leurs « objectifs largement divergents » à la table de négociation.

Dans une déclaration à l’AFP, un porte-parole a indiqué mardi que les dirigeants tigréens demeuraient « ouverts à toute négociation ».

Le gouvernement fédéral s’est dit déterminé pour sa part à « résoudre pacifiquement le conflit » tout en réitérant que la reprise des hostilités était attribuable aux « terroristes » du Tigré.