Le tremblement de terre a touché, de façons très diverses, toutes les régions, a pu constater notre collaboratrice au Maroc, en route vers Taroudant, village de montagne du Haut Atlas frappé de plein fouet vendredi.

Dimanche matin, une nouvelle journée se lève à Tanger, à la pointe nord du Maroc, à la jonction entre l’océan Atlantique et la mer Méditerranée. La deuxième après le terrible séisme qui a principalement secoué la zone située entre Marrakech et Agadir, avec un bilan encore provisoire de plus de 2000 morts. Dans la ville du détroit, éloignée de 600 kilomètres de l’épicentre, si les secousses ne se sont pas fait sentir, la mobilisation n’est pas faible pour autant.

La cité dont les habitants sont réputés être des lève-tard voit dès 8 h 30 de longues files s’étirer devant des centres de collecte de sang. Trois ont été montés à la hâte dès samedi. Dans l’un d’entre eux, au cœur du centre-ville, Jihane attend son tour. Cela fait une heure maintenant qu’elle patiente, assise devant l’entrée, « mais d’autres sont arrivés il y a beaucoup plus longtemps que moi », tient à faire savoir la trentenaire. Pas de raison de s’apitoyer sur son sort, ceux qui souffrent sont ailleurs. Elle considère son geste comme un simple « devoir de citoyenne ». D’un coup, elle se crispe, ses yeux s’embuent, elle éclate en sanglots. « C’est dur, c’est vraiment difficile, plus de 2000 morts. Notre génération, nous n’avons jamais vécu ça, c’est un choc. »

PHOTO NARIMAN EL-MOFTY, THE NEW YORK TIMES

Des gens donnent du sang à Marrakech, dimanche.

À quelques rues à peine, une grande tente blanche a été plantée au milieu de la place des Nations. Elle est pleine à craquer. De l’autre côté du boulevard qui transperce l’esplanade, des chaises sont alignées à l’ombre. De quoi faire patienter ceux et celles qui bénéficient d’un ticket de passage et qui pourront dès lors accomplir leur mission du jour.

Autour de 12 h, la décision tombe : l’afflux est tel qu’il n’est déjà plus possible de donner de son sang aujourd’hui. Le maximum des capacités a été atteint. C’est une bonne nouvelle, la mobilisation est massive.

Celle qui est chargée de refouler les nouveaux arrivants s’appelle Aya ; elle a seulement 18 ans. Étudiante infirmière, elle est en stage la nuit à l’hôpital et vient renforcer les rangs des bénévoles la journée.

Un employé du Centre hospitalier régional (CHR) revient sur les chiffres : samedi, sur les trois sites que compte Tanger, un peu plus de 600 personnes ont pu être prélevées. Il estime qu’elles étaient « au moins 800 » dimanche. Probablement encore plus ce lundi.

PHOTO SERGEY PONOMAREV, THE NEW YORK TIMES

Village aux pieds des montagnes du Haut Atlas

Le Sud dans l’attente

Dans le couloir aérien entre Tanger et Agadir se dresse une chaîne de montagnes. C’est le Haut Atlas. De loin, ces montagnes sont éclatantes. Elles semblent arrondies, presque douces. De près, elles sont menaçantes. C’est ici que s’est jouée la tragédie.

PHOTO AL OULA TV, FOURNIE PAR REUTERS

Membres des forces armées du Maroc déployés à Taroudant, samedi

Dans la soirée de dimanche, à Agadir, l’atmosphère est paisible, la vie semble avoir repris son cours normal. Le blanc étincelant du nord laisse la place à une ville en camaïeu de rouge et de rose. De l’aéroport au quartier des abattoirs, le taxi traverse la ville d’est en ouest. Destination : Taroudant. Où sont les cicatrices de cette terre qui a tremblé ? Les longues fissures dans les murs et les toits effondrés, séisme ou vétusté du bâti ? Difficile à dire.

Pourtant, même si les yeux ne peuvent trouver partout les souvenirs du tremblement de terre, on perçoit sa marque dans chaque recoin. Ici, il est omniprésent par la peur. Celle des répliques inattendues, imprévisibles.

Houda et Fatimzahra sont sœurs. Elles ont une vingtaine d’années et habitent ensemble à Agadir, bien qu’étant originaires de Taroudant – une des régions les plus endeuillées. Elles regagnent cette ville où vivent toujours leurs parents, mais Houda exprime sa crainte : « Ça va mal ici. Partout, dans tous les villages alentour, la situation est très difficile, il faut faire attention. » Dans un café à quelques encablures du centre, Karim* raconte que son village, par chance, a été très peu touché, contrairement à d’autres tout proches. Pourtant, il n’est pas serein. Ce soir, il va dormir dehors. Ses enfants de 8, 10 et 13 ans appréhendent de rentrer dans la maison. Il va donc les accompagner. Et ils ne sont pas les seuls. À Marrakech, dans le petit village de Massa, un peu partout dans la région, des familles font ce choix. La chaleur permet qu’il soit supportable.

L’appel à la prière retentit dans la nuit noire de Taroudant. Un petit signe parmi d’autres qui vient rappeler que la vie continue.

*Le prénom a été modifié