(Derna) Secouristes et volontaires s’activent vendredi à la recherche de milliers de personnes portées disparues à Derna, après des inondations qui ont dévasté la ville côtière de l’est de la Libye.

Le déferlement d’eau dans la nuit de dimanche à lundi a rompu deux barrages en amont, provoquant une crue éclair de l’oued qui traverse la ville et des flots de plusieurs mètres de haut, ont rapporté des habitants.

Selon un photographe de l’AFP sur place, le centre-ville de Derna ressemble désormais à un terrain aplati par un rouleau compresseur. Les arbres ont été déracinés, les immeubles et les ponts détruits.

Les dégâts sont considérables et les autorités craignent un bilan humain très lourd dans la ville qui comptait 100 000 habitants avant la catastrophe.

PHOTO ABDULLAH DOMA, AGENCE FRANCE-PRESSE

Une équipe de secouriste est aidée par des chiens pour retrouver des survivants dans les décombres.

Des ministres du gouvernement de l’est libyen avancent des bilans différents, mais dépassant les 2600 morts, et les autorités craignent que ce chiffre ne grimpe au vu du nombre de disparus.

Des habitants racontent que des centaines de corps gisent encore sous les tonnes de boue et de décombres.

« L’eau était chargée de boue, d’arbres, de morceaux de fer, les flots ont parcouru des kilomètres avant d’envahir le centre de la ville et emporter ou ensevelir tout ce qui se trouvait sur leur chemin », témoigne auprès de l’AFP Abdelaziz Bousmya, 29 ans, qui vit dans le quartier de Chiha, épargné par les inondations.

« J’ai perdu des amis, des proches. Il sont soit ensevelis sous la boue, soit ont été emportés par les flots vers la mer », dit-il, la voix étranglée par l’émotion, estimant que 10 % de la population de la ville a péri.  

Selon lui, les autorités libyennes n’ont pas pris les mesures nécessaires pour se prémunir de la catastrophe, se contentant d’ordonner aux habitants de rester chez eux en prévision de la tempête Daniel, qui s’était abattue sur la Turquie, la Bulgarie et la Grèce avant d’atteindre le pays d’Afrique du Nord dimanche.  

6000 sacs mortuaires

Depuis, des dizaines de corps sont découverts chaque jour et enterrés parfois dans des fosses communes. D’autres sont toujours coincés dans des maisons ou ont été emportés vers la mer qui en a rejeté des dizaines, faisant craindre des épidémies liées à la décomposition des cadavres, selon les autorités sanitaires.

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Des bénévoles trient des vêtements pour les habitants victimes de la tempête.

Le nombre de sacs mortuaires distribués dans la ville illustre l’étendue du drame. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a indiqué à lui seul en avoir fourni 6000.

De son côté, le Programme alimentaire mondial (PAM) a annoncé avoir commencé à fournir une aide alimentaire à plus de 5000 familles déplacées par les inondations, précisant que des milliers de familles à Derna sont « sans nourriture ni abri ».

L’ONU, les États-Unis, l’Union européenne et de nombreux pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord ont promis d’envoyer de l’aide. Des équipes de secours étrangères sont déjà à l’œuvre à la recherche d’éventuels survivants.

La Libye est plongée dans le chaos depuis la mort du dictateur Mouammar Kadhafi en 2011, avec deux gouvernements rivaux, l’un reconnu par l’ONU basé dans la capitale Tripoli, à l’ouest, l’autre dans la région orientale touchée par les inondations.

PHOTO ABDULLAH DOMA, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des voitures empilées les unes sur les autres témoignent de la force de la tempête.

Derna s’est retrouvée à plusieurs reprises sous la coupe de groupes islamistes et djihadistes, avant que le maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de l’est libyen, n’impose en 2018 un siège et une guerre de plusieurs mois contre ces groupes.

Depuis, ce sont les forces loyales à M. Haftar qui contrôlent la ville dont les infrastructures avaient été endommagées par les combats.

La plupart des morts à Derna « auraient pu être évitées », a estimé jeudi Petteri Taalas, patron de l’Organisation météorologique mondiale qui dépend de l’ONU. Les années de conflit en Libye ont « en grande partie détruit le réseau d’observation météorologique », tout comme les systèmes informatiques, a-t-il déclaré à Genève.