Qu’il s’agisse d’un parent, d’un voisin ou encore d’un camarade de classe, dans le sud du Maroc, après le séisme, rares sont ceux qui ont pu échapper au deuil. Tous et toutes ont vécu la peur. Des professionnels sont déjà à pied d’œuvre pour aider les victimes à surmonter le traumatisme.

(Taroudant, Maroc ) Existe-t-il plus grand chagrin que celui de perdre un enfant ? Sans doute celui de le voir mourir sous les décombres de sa maison. Zahra a perdu ses deux enfants le soir du séisme. Elle a tant crié de désespoir qu’elle parle aujourd’hui dans le souffle d’un mince filet de voix.

« Salam aleykoum, marhaba [bonjour, bienvenue] », articule-t-elle à peine. Depuis la mort de ses enfants Asma, 11 ans, et Ibrahim, 5 ans, elle est sous le choc. Comme elle est incapable de s’occuper d’elle-même, ses sœurs et ses amies ont pris le relais. Elles l’habillent et la lavent. Elle veut que l’on parle de ses petits. Est-ce pour leur donner une existence qu’ils n’ont plus ? En tentant de leur venir en aide, elle s’est blessée. Son corps est couvert d’égratignures et d’ecchymoses.

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Zahra, 28 ans, a perdu ses deux enfants le soir du séisme qui a secoué le Maroc.

Son cas n’est malheureusement pas isolé, mais le fait qu’elle exprime sa souffrance, par les pleurs notamment, est plutôt « bon signe », note Sevan Minassian, pédopsychiatre et thérapeute familial. Pour lui, « être triste ou pleurer sont des modalités d’expression normales ».

Il insiste sur d’autres symptômes qui doivent alerter comme « la stupeur, ne pas réagir du tout ou être très agité, être dans le déni » ou encore ne pas agir en phase avec ce qu’il se passe dans la réalité.

Soutien sur le terrain

Zineb el Mandoubi se déplace à titre de coach et d’interprète, car dans les zones touchées, certains ne parlent que la langue amazigh.

Dans un village, un imam a commencé à faire des appels à la prière sans heure fixe. Ailleurs, une fille a perdu son père, enterré avant qu’elle ne puisse le voir. Elle continue à l’appeler et à lui apporter ses vêtements au cimetière.

Zineb el Mandoubi, coach et interprète

Avec un groupe de l’Association marocaine d’accompagnement et d’assistance psychologique (AMAAP), Mohamed Walid, psychologue, a fait un premier déplacement dans trois villages, Ait Taleb, Abernoss et Riyad (tous à une vingtaine de kilomètres de Taroudant) pour faire un bilan sur le terrain. Il a constaté des troubles tels que « la peur, l’angoisse, l’isolement, la peur de la mort ».

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Maison en construction investie par trois familles dans le village d’Ait Taleb

En théorie, pendant un mois, on parle de stress aigu, sorte d’équivalent du stress post-traumatique qui survient ensuite. Néanmoins, en fonction des histoires personnelles, des individus déjà vulnérables peuvent développer des symptômes de stress post-traumatique déclenchés par ce nouvel évènement. C’est ce qu’a pu observer Mohamed Walid. Ces symptômes comprennent par exemple l’hypervigilance anxieuse, la reviviscence (revivre une odeur, un bruit, revivre sensoriellement un évènement), les troubles du comportement, l’anxiété, la colère, la rage, la culpabilité, les troubles de la mémoire et de la concentration, etc.

Le psychologue explique que des habitants n’arrivent toujours pas à comprendre ce qu’il s’est passé. « Certains ne savaient même pas ce qu’était un séisme, dit-il, donc il faut un système de sensibilisation. » Sélim Guessoum, pédopsychiatre, ajoute que le cas du tremblement de terre est particulier en ce sens que l’évènement traumatique lui-même n’est pas vraiment fini, puisqu’il peut y avoir des répliques. « Le problème, c’est que l’état d’hypervigilance et l’inquiétude que cela revienne sont en quelque sorte adaptés à la réalité, car c’est ce qu’on leur dit. »

Imaginer la réparation

Tous les experts interrogés s’accordent sur un point : la première étape de la thérapie, c’est de rétablir le sentiment de sécurité. Pouvoir bénéficier d’un environnement rassurant, calme est crucial. Ce qui est pour l’instant bien loin d’être le cas.

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Une femme marche devant les ruines d’une maison, à Ait Taleb. Le village a été presque entièrement détruit.

La perte du « chez-soi » est aussi celle du lieu de référence qui protège des dangers extérieurs. Sélim Guessoum poursuit : « Quand on imagine une agression ou un accident, souvent les personnes se retrouvent ensuite dans un lieu où elles peuvent souffler, et en sécurité. Là, cet endroit n’existe pas. » À titre de comparaison, ajoute le pédopsychiatre, « un simple déménagement est considéré en psychologie comme un facteur de stress, même quand il est heureux ».

Khadija, 14 ans, vivait au premier étage d’une maison qui a été réduite en poussière. Dans le tas de gravats, on distingue les ornements d’un plafond, le logo Renault d’une voiture engloutie, les barreaux d’un lit et quelques effets personnels. Au rez-de-chaussée, toute une famille est morte. Les deux parents, les deux enfants.

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La maison où vivait Khadija, 14 ans, a été détruite.

Quant à elle, Khadija vit maintenant sous une tente avec toute sa famille, juste à côté de sa maison. « Je pleure toutes les nuits, je suis tellement triste », dit-elle en s’efforçant de sourire. Dans les villages, certains petits ont l’air perdus, hagards. Ils ont le regard dans le vide, comme s’ils n’étaient pas vraiment là. Soukaina, 12 ans, dont la maison a été préservée, a eu l’impression de vivre « la fin du monde » et fond en larmes lorsqu’elle parle de son école : « Des camarades sont blessés, d’autres, décédés. »

De l’avis de Mayssa’ El-Husseini, psychologue clinicienne et psychanalyste, les enfants sont particulièrement vulnérables et ils dépendent de la réaction des adultes. « Ce qui va les rassurer ou au contraire leur donner le sentiment qu’ils sont exposés, c’est l’état des parents, donc c’est primordial de les aider pour qu’ils s’occupent des enfants. »

Une catastrophe d’une telle ampleur leur donne l’impression que leur environnement n’est pas protecteur, qu’il peut être dangereux, donc il faut restaurer la confiance.

Mayssa’ El-Husseini, psychologue clinicienne et psychanalyste

De façon générale, le soutien social est aussi un élément décisif. Il permet de limiter ou de diminuer les risques de traumatismes. La solidarité exceptionnelle dont ont fait preuve les Marocains et Marocaines est donc un élément très positif, au-delà de fournir l’assistance nécessaire à la survie.

Début octobre, Mohamed Walid a prévu de revenir dans les trois villages déjà visités. Avec une équipe, il va commencer les thérapies. Il faudra une mobilisation collective avec des équipes complémentaires de médecins et de psychologues pour que les populations affectées puissent imaginer un avenir.