(Caracas) Le parlement vénézuélien aux mains du pouvoir du président Nicolas Maduro va nommer un nouveau Conseil national électoral (CNE) à un an de la présidentielle de 2024, provoquant l’ire de l’opposition et craintes des politologues.

« Il est fondamental que l’Assemblée nationale, dans le respect des délais impartis, nomme d’urgence le nouveau Conseil national électoral », a déclaré jeudi le président du parlement Jorge Rodriguez lors d’une séance, quelques heures après la démission de deux membres propouvoir du comité de direction du CNE.

L’actuel comité composé de trois membres propouvoir, dont le poste de président, et de deux pro-opposition, avait été nommé en 2021 à l’issue d’une négociation politique après les allégations de fraude lors des élections législatives 2020 et de la présidentielle 2018, avec la non-reconnaissance par la communauté internationale de la réélection de Nicolas Maduro.  

L’opposition avait boycotté ces deux scrutins, mais participé aux régionales de 2021.

Le président du CNE Pedro Calzadilla et le recteur Alexis Corredor, ainsi que six autres suppléants propouvoir, ont mis dans la matinée leurs « postes à disposition de l’Assemblée nationale », M. Calzadilla précisant que ces démissions visaient la nomination d’un nouveau CNE qui représente un « consensus ».  

La troisième membre propouvoir, Tania D’Amelio, avait déjà démissionné en avril 2022 pour intégrer la Cour suprême.

« Faire imploser la primaire »

Les deux membres pro-opposition n’ont pas démissionné, mais M. Rodriguez a indiqué que le Parlement allait nommer cinq nouveaux membres et dix suppléants.

Ce changement s’opère alors que l’opposition avait justement sollicité le CNE pour la soutenir dans l’organisation, le 22 octobre, de primaires pour présenter un candidat unique face à M. Maduro lors de la présidentielle de 2024 dont la date reste à fixer.

« À qui profite qu’il n’y ait pas de primaires ? Aux suspects habituels ! », a lancé l’opposante Tamara Adrian en déposant jeudi sa candidature devant la Commission nationale des primaires de l’opposition. « La coalition au pouvoir a pris une décision : “nous allons faire imploser la primaire en éliminant provisoirement le CNE pour qu’il n’y ait pas de réponse sur la demande d’assistance technique” ».

Le pouvoir « veut des candidats (d’opposition) multiples contre un candidat unique (du pouvoir) […] Souvenez-vous de 2004 : (l’ancien président Hugo) Chavez gagne avec 33 % quand 66 % des voix sont allées à trois autres candidats […] La coalition (de l’opposition) est la seule manière d’évincer la coalition dominante au pouvoir », a fustigé Mme Adrian, qui était devenue en 2016 la première députée transgenre d’Amérique latine.

Un des principaux leaders de l’opposition, Juan Guaidó a lui déclaré sur Twitter : « Ceux qui ont “exigé” que cela se fasse avec ou sans le CNE, peuvent laisser cela de côté… C’est à nous tous de réunifier le pays avec la primaire et cela passe par une évidence : réaliser la primaire ».

Jesus Maria Casal, le président de la Commission des primaires, a lui assuré : « Nous allons de l’avant. La date fixée pour l’élection primaire est maintenue. Mais cela nécessitera probablement un effort beaucoup plus important, un effort beaucoup plus déterminé ».  

La politologue Ana Milagros Parra estime qu’il s’agit pour le pouvoir de « retarder les primaires et de diviser l’opinion publique ».

Des analystes craignent que la nomination d’un nouveau CNE soit le signe d’une reprise en main. « Il n’y a pas de coordination entre les membres actuels et le pouvoir. Le pouvoir a besoin de gens plus subordonnés aux décisions de l’exécutif », note le consultant politique Pablo Andrés Quintero.  

Le CNE sortant a organisé les élections régionales de novembre 2021. L’Union européenne, observatrice pour la première fois en 15 ans, avait signalé des irrégularités, mais aussi constaté de « meilleures conditions ».  

Le pouvoir avait remporté la majorité des postes de maires et de gouverneurs, mais il avait perdu le Barinas, l’État natal du feu président Hugo Chavez (1999-2013), gouverné par sa famille depuis 1999. La justice avait fait reprendre la première élection alors que le CNE tardait à valider les résultats et, un mois plus tard, l’opposition avait remporté le scrutin.  

Pour M. Quintero, le pouvoir cherche aussi « à démoraliser les gens, à promouvoir un scénario d’abstention, de désillusion par rapport à l’idée de voter, de travailler sur la perception que cela ne vaut pas la peine de voter. Parce que le gouvernement fait ce qu’il veut ».