(Tokyo) Fumio Kishida, le premier ministre du Japon depuis 2021, n’avait vraiment pas besoin du dernier scandale financier éclaboussant son parti : sa popularité était déjà très basse, à cause d’une politique intérieure peu marquante et de nombreuses précédentes casseroles.

Dès son arrivée au pouvoir, M. Kishida, 66 ans, est apparu comme un choix de compromis par le Parti libéral-démocrate (PLD, droite conservatrice).

Comme il ne dirigeait qu’une petite faction parlementaire modérée du PLD, il doit constamment donner des gages à d’autres courants plus puissants de son parti, notamment son aile ultranationaliste que contrôlait son ancien mentor et ex-premier ministre Shinzo Abe jusqu’à son assassinat en 2022.

M. Kishida « n’est pas perçu comme quelqu’un qui communique clairement ou agit de manière résolue », résume James Brady du cabinet Teneo, interrogé par l’AFP. « L’opinion publique ne pense tout simplement pas qu’il exerce un leadership ».

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La reprise économique post-pandémie dans le pays n’a pas été vigoureuse et le pouvoir d’achat des ménages nippons est en berne.

« Bien qu’il ait pris des décisions fortes et controversées pour satisfaire certains groupes au sein du PLD, il semble très faible et hésitant quand il s’agit de les appliquer », relève aussi Kensuke Takayasu, un politologue japonais interrogé par l’AFP.  

En économie, derrière son slogan ronflant de « nouveau capitalisme », il n’a fait en réalité que prolonger la vieille recette japonaise de plans de relance budgétaire massifs.

Mais ces mesures sont diluées par le choc inflationniste dans l’archipel depuis la flambée des prix mondiaux de l’énergie en 2022, et par la chute du yen, liée au maintien de la politique monétaire ultra-accommodante de la Banque du Japon.

De fait, la reprise économique post-pandémie dans le pays n’a pas été vigoureuse et le pouvoir d’achat des ménages nippons est en berne.

« Binoclard qui augmente les impôts »

M. Kishida a également promis de s’attaquer au problème fondamental du déclin démographique accéléré du pays.  

Mais son projet consiste surtout à renforcer les allocations familiales, alors que beaucoup d’observateurs pensent que le faible taux de natalité est également la conséquence d’une conception rigide de la parentalité, du travail et des relations hommes-femmes dans la société nippone.

Or, sur les questions sociétales, M. Kishida est très frileux, à l’image de la faction ultranationaliste du PLD : pas de mariage gai à l’horizon au Japon, ni de garde partagée systématique des enfants en cas de divorce par exemple.

En politique intérieure, ses décisions les plus notables à ce jour sont la relance du nucléaire, un secteur toujours convalescent au Japon depuis la catastrophe de Fukushima en 2011, et l’augmentation record du budget de la Défense face à un contexte géopolitique régional et mondial très dégradé.

M. Kishida s’est récemment vu attribuer au Japon le sobriquet peu amène de « binoclard qui augmente les impôts », lié au flou qu’il entretient sur le financement de ses coûteux programmes.

En politique étrangère, le bilan provisoire de cet ancien chef de la diplomatie japonaise sous Shinzo Abe est plus significatif : condamnation ferme et immédiate de l’invasion russe de l’Ukraine et sanctions contre Moscou, amélioration des liens entre Tokyo et Séoul. Quant aux relations avec la Chine, elles alternent des phases de tensions et d’ouverture, comme auparavant.

Scandales volants en escadrille

L’agenda de M. Kishida a été régulièrement pollué par des scandales touchant le PLD et des membres de son gouvernement, effritant sa propre cote de popularité.

L’assassinat d’Abe en juillet 2022 par un homme qui voulait se venger de l’Église de l’Unification, plus connue sous le nom de « secte Moon », a notamment entraîné des révélations en cascade sur les liens étroits de cette organisation religieuse avec des élus du PLD.

Les funérailles d’État controversées que M. Kishida a ensuite décrétées pour Shinzo Abe ont rajouté de l’huile sur le feu.

« Plus que la nature des scandales eux-mêmes, c’est la manière dont (M. Kishida) y répond qui a constamment abîmé son image », à force de vouloir sans cesse ménager la chèvre et le chou au sein du PLD, selon M. Brady.

Malgré tout, cet indéboulonnable élu de Hiroshima (ouest du Japon) depuis 1993, comme son père et son grand-père avant lui, pourrait se maintenir au pouvoir au moins jusqu’aux prochaines élections pour la présidence du PLD en septembre 2024.

Il n’a aucun concurrent fort face à lui pour l’instant au sein du parti. Le premier ministre n’est pas non plus obligé de convoquer des élections législatives avant l’automne 2025, et l’opposition parlementaire reste faible et morcelée.