Des villages calcinés. Des décapitations. Des cliniques attaquées. Les images et les témoignages provenant de la Birmanie depuis trois ans attestent des violences qui font rage depuis le coup d’État militaire du 1er février 2021. Mais depuis octobre dernier, le conflit semble être entré dans une nouvelle phase, et la junte perdrait du galon.

L’histoire jusqu’ici

13 novembre 2020

Le parti d’Aung San Suu Kyi remporte les élections.

1er février 2021

Les militaires s’emparent du pouvoir, alléguant une fraude électorale.

29 octobre 2023

Trois puissants groupes armés s’allient pour lancer une offensive contre la junte.

« Après trois ans de combats qui s’étirent, et là avec les victoires successives [des groupes rebelles], je pense que la junte militaire sent qu’elle est dans un moment assez charnière depuis le coup d’État », estime Jean-François Rancourt, politologue rattaché à l’Observatoire des droits de la personne de l’Université de Montréal.

La Birmanie compte des dizaines d’armées rebelles, issues de différents groupes ethniques, qui combattent les militaires depuis qu’ils ont renversé le gouvernement démocratiquement élu d’Aung San Suu Kyi. Les généraux accusaient la Prix Nobel de fraudes électorales, des allégations non fondées.

PHOTO SOE ZEYA TUN, ARCHIVES REUTERS

Aung San Suu Kyi, figure de l’opposition à la dictature militaire en Birmanie, en 2019

Une alliance de trois de ces groupes a lancé, le 27 octobre dernier, une offensive baptisée « opération 1027 » contre la junte au pouvoir. Cette attaque de l’Alliance de la fraternité contre des positions militaires a ébranlé l’armée régulière, créant des dissensions et des défections.

PHOTO ARCHIVES REUTERS

Min Aung Hlaing, dirigeant de la junte militaire birmane, en mars 2021

« Je pense que Min Aung Hlaing, le dirigeant de la junte, est sous une pression importante provenant de plusieurs fronts, non seulement du gouvernement d’unité nationale [le gouvernement en exil] et des groupes armés ethniques, mais aussi de l’intérieur même des forces militaires », juge Erik Kuhonta, de l’Université McGill. Dans la région où l’Alliance de la fraternité a mené son opération, un cessez-le-feu a été conclu sous l’égide de la Chine voisine, à l’avantage de la coalition d’insurgés.

Le conflit le plus violent en cours

La Birmanie est actuellement le théâtre du conflit le plus violent en cours, selon un classement de 50 pays réalisé par l’ONG ACLED, qui note aussi sa « fragmentation », avec de petites milices installées à divers endroits du territoire.

En trois ans, près de 3 millions de Birmans ont été déplacés – dont 800 000 depuis octobre, selon l’UNHCR. Le nombre de morts reste difficile à vérifier, mais s’élèverait à plusieurs dizaines de milliers.

Le pays vit une crise humanitaire. L’accès aux soins médicaux est problématique. Dans un État du pays, le Rakhine (ainsi que le régime appelle l’État d’Arakan), Médecins sans frontières est incapable de maintenir les services de ses 25 cliniques mobiles depuis 9 semaines. « Ce sont des cliniques qui donnent des soins de santé de base, explique le représentant humanitaire de Médecins sans frontières au Canada, Jason Nickerson. À travers l’État, surtout dans les régions rurales, on voit environ 1500 patients par jour. »

PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Membres des Forces de défense du peuple, branche armée du gouvernement de la Birmanie en exil, dans leur camp de base de l’État du Shan, en décembre dernier

Les travailleurs humanitaires font face à des restrictions de mouvements, des arrestations et des détentions de la part des parties prenant part au conflit, notait l’UNHCR dans son rapport de l’année 2023.

Violations de droits de la personne

Au cours des trois dernières années, de nombreux organismes ont sonné l’alarme sur des violations de droits de la personne. « La junte utilise encore le feu dans les zones où elle a un accès terrestre, parfois, de façon symbolique, par exemple en mettant le feu à des villages déjà brûlés, pour montrer à la population qu’elle peut continuer à semer la peur, explique Matt Lawrence, directeur de projets de Myanmar Witness, joint par visioconférence. Ils continuent aussi à traiter de façon particulièrement brutale la résistance. »

PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Missile tiré depuis une base militaire dans le nord de la Birmanie, en octobre dernier

Établi au Royaume-Uni, l’organisme sans but lucratif enquête sur les violations des droits de la personne notamment en contre-vérifiant les images en provenance de la Birmanie : comparaison avec l’imagerie satellite, étude du type de dommages pour déterminer le moyen utilisé, recoupements. Des techniques modernes, alliées à d’autres plus anciennes, comme le positionnement des ombres pour déterminer l’heure d’une attaque. Ces enquêtes sont transmises à l’ONU, dans l’espoir qu’elles servent d’éléments de preuve devant un tribunal un jour.

Les photographies sont souvent diffusées par la jeune génération, habile avec les technologies, note M. Lawrence.

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Un homme constate les dégâts après des frappes aériennes et d'artillerie dans un camp de déplacés à Laiza, dans le nord de la Birmanie, en octobre dernier.

Ces jeunes ont grandi dans une Birmanie différente de celle de leurs parents et grands-parents, qui ont vécu des insurrections après l’indépendance du pays, en 1947, alimentées par les tensions entre groupes ethniques, et le coup d’État qui a permis aux militaires de prendre le pouvoir, de 1962 à 2011. L’arrivée de la démocratie n’a pas permis de complètement mettre fin aux abus contre les minorités, notamment contre les musulmans rohingya, mais elle avait laissé souffler un vent d’espoir.

PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des partisans de l’armée portent une bannière montrant le dirigeant de la junte, Min Aung Hlaing, lors d’un rassemblement à Naypyidaw, en février 2021.

Des organismes, comme Amnistie internationale, ont réclamé une enquête sur de possibles crimes de guerre commis par la junte birmane. Mais des groupes rebelles ont aussi été montrés du doigt pour de possibles violations. En décembre dernier, Human Rights Watch a dénoncé le travail forcé et le recrutement des enfants pour les combats par l’Alliance démocratique nationale de la Birmanie (MNDAA), l’un des membres de l’Alliance de la fraternité.

Avec l’Agence France-Presse