(Port-au-Prince) Le quartier de Saint-Martin, situé au cœur de Port-au-Prince, a connu des jours meilleurs.

À l’angle de la rue Sans Souci, deux écoles ravagées par un incendie gisent sous un soleil brûlant. La rue de Tokyo n’est plus qu’un triste alignement d’immeubles criblés de balles. Le long de la rue Delmas 4, de rares silhouettes émaciées apparaissent furtivement derrière les tas de gravats. Un peu de linge sèche à l’arrière d’un bâtiment ravagé par un lance-roquettes : l’immense majorité de la population a fui les lieux, mais quelques habitants sont restés vivre parmi les ruines. Un silence mortifère règne sur l’ensemble.

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Les ruines d’une école située à la lisière des quartiers contrôlés par les gangs G9 et Gpep, au cœur de Port-au-Prince

Autrefois l’un des secteurs les plus animés de la capitale haïtienne, Saint-Martin s’est mué en zone de guerre.

Un cortège d’une douzaine de jeunes hommes en sandales de caoutchouc déambule au milieu de ce paysage apocalyptique. Tous arborent un pistolet à la ceinture. À leur tête, un quarantenaire bedonnant se pavane bruyamment. « Toute cette zone m’appartient. La police ne vient plus ici depuis des années ! », se vante-t-il en saluant de rares badauds aux regards apeurés. Son nom : Jimmy Chérizier.

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Une habitante du quartier de Saint-Martin, contrôlé par le G9

Accusé de plusieurs massacres, sous le coup de sanctions de l’ONU, cet ancien policier reconverti en chef de gang règne sur le « G9 », une coalition de neuf groupes armés se partageant un immense territoire au centre de Port-au-Prince. Comme eux, une centaine de gangs ont profité du vide politique laissé par l’assassinat du président Jovenel Moïse, en 2021, pour prendre d’assaut la capitale haïtienne. Quelque 80 % de la superficie de la ville serait désormais sous leur coupe. Le G9 de Jimmy Chérizier est l’un des plus puissants : à l’automne dernier, ses membres sont parvenus à paralyser le pays en bloquant les terminaux pétroliers de Port-au-Prince pendant deux mois.

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Des membres des gangs G9 et Gpep, à Port-au-Prince, le 14 août

Misère sociale

« Notre pays s’enfonce dans l’anarchie et les tueries se multiplient. Alors mes amis et moi avons pris les armes pour défendre la population, justifie Jimmy Chérizier en inspectant deux fusils d’assaut de confection américaine tendus par l’un de ses adjoints.

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Le chef de gang Jimmy Chérizier devant des sacs de riz qu’il distribue à la population

Les groupes comme le mien existent pour une seule raison : pallier la faillite de l’État à assurer les besoins de la population. Pourquoi les jeunes préfèrent-ils travailler pour moi plutôt que d’exercer un métier moins dangereux ? Parce qu’ils ne sont pas allés à l’école, qu’ils n’ont aucun avenir et que le pays est un champ de ruines. Je leur offre des opportunités.

Jimmy Chérizier, chef du gang G9

Arrivé devant la bâtisse décrépie lui tenant lieu de quartier général, le chef de gang s’engouffre dans un sous-sol à l’atmosphère lugubre. Une trentaine de femmes y patientent devant des monticules de sacs de riz. Un membre du gang, mitrailleuse en bandoulière, les appelle une à une à venir se servir.

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Une habitante d’un quartier contrôlé par le gang G9 récupère un sac de riz auprès des hommes de Jimmy Chérizier.

« Je prends soin de ma communauté et, en retour, la communauté prend soin de moi, dit en ricanant Jimmy Chérizier une fois remonté à l’air libre. Je construis des écoles, je nourris les gens, je participe à leurs frais médicaux. Bref, j’assure les missions auxquelles l’État a renoncé. »