Le politicien autrichien Jorg Haider a chanté les mérites de la politique d'emploi du IIIe Reich, lancé des déclarations antisémites et multiplié les déclarations xénophobes. Cela n'empêche pas les résidants de la Carinthie, dont il était gouverneur jusqu'à sa mort tragique, le mois dernier, de lui vouer un véritable culte. Notre envoyé spécial Marc Thibodeau s'est rendu dans le sud de l'Autriche pour prendre la mesure du phénomène.

À l'occasion du jour des Morts, Ingrid Berger n'a pas oublié son héros politique, Jörg Haider, qui a perdu la vie à la mi-octobre dans un accident de la route en Carinthie, dans le sud de l'Autriche.

 

La femme de 61 ans, qui habite dans une banlieue résidentielle de Klagenfurt, non loin du lieu du drame, est allée déposer en bord de route un lampion en mémoire du critiqué chef populiste, longtemps gouverneur de la région.

«C'était le plus grand de tous les temps. Il était à l'écoute de tout le monde: les jeunes, les vieux, les riches, les pauvres», souligne Mme Berger.

Comme elle, des centaines de personnes ont laissé sur place des lampions et des gerbes de fleurs afin de souligner leur affection pour Jörg Haider. Une trace de roue dans le gazon et les restes d'une clôture ravagée témoignent de la sortie de route qui a mené à sa mort.

Les expertises ont démontré que le politicien avait une alcoolémie plusieurs fois supérieure au maximum légal et qu'il roulait à 140km/h, soit deux fois la vitesse permise.

Bien que les circonstances de sa mort ne laissent guère de place au doute, plusieurs de ses admirateurs sont suspicieux. Les plus imaginatifs évoquent même un complot des services secrets israéliens.

«Je connais quelqu'un qui lui a parlé une heure avant sa mort et qui m'a dit qu'il n'était pas saoul du tout... Je ne peux pas croire à l'explication officielle», a confié un Allemand venu se recueillir en cette pluvieuse journée d'automne.

En kilt

Willhelm Eigenberger, un photographe de Klagenfert qui a vu la voiture dévastée de Jörg Haider le soir du drame, se montre plus partagé. «Il était très extrême dans sa vie politique. Mais dans la vie privée, c'était un homme charmant», souligne-t-il.

L'homme de 53 ans, originaire de Stuttgart, ne lui pardonne pas ses déclarations excessives, en particulier contre les immigrés. «Les étrangers sont tenus responsables de tous les problèmes en Carinthie. C'est toujours leur faute», déplore-t-il.

Par les temps qui courent, beaucoup de résidants de la région ne prennent pas la peine d'exprimer de telles réserves envers le défunt chef de l'Alliance pour l'avenir de l'Autriche (BZÖ), parti de droite populiste ayant obtenu 11% des voix au scrutin national de septembre.

«Jörg Haider est en voie d'être mythifié... Quelqu'un a écrit à juste titre qu'il était devenu en quelque sorte le Lady Di de la Carinthie», souligne Peter Hajek, un analyste politique viennois.

L'affection posthume de la population locale témoigne du flair politique de l'ancien gouverneur, qui ne ratait aucune occasion de courtiser ses compatriotes.

Thomas Rettl, un tailleur de Klagenfurt, en sait quelque chose. Il y a cinq ans, l'homme de 47 ans, grand admirateur de l'Écosse, avait lancé l'idée d'un costume «traditionnel» carinthien comprenant un kilt. Dans la foulée, des chercheurs ont découvert dans la région un bout de tissu décrit comme le premier tartan de l'histoire, laissé par des Celtes il y a plus de 1500 ans.

La presse anglaise a dénoncé ce qu'elle considérait comme un affront, et des milliers de Carinthiens ont réagi en se précipitant à la boutique de M. Rettl pour avoir leur propre kilt.

Flairant la bonne affaire, Jörg Haider s'est fait prendre en photo dans cette singulière tenue. «Il l'a emprunté à quelqu'un. Il n'en avait pas lui-même... Plusieurs membres de son parti voulaient aussi en avoir un», souligne M. Kettl, qui a été pressenti comme candidat du BZÖ aux dernières élections législatives.

Envolées provocatrices

Aux funérailles quasi nationales de Jörg Haider, le 18 octobre, à Klagenfurt plusieurs personnes portaient des costumes traditionnels de la région, parfois avec le kilt.

La mythification en cours de Jörg Haider marque l'aboutissement d'une carrière politique longue et mouvementée pour le politicien de 58 ans, qui fut pendant près de 20 ans l'un des dirigeants du Parti autrichien de la liberté (FPÖ).

À coups de sorties pronazies, antisémites et xénophobes, il avait réussi à porter la formation au pouvoir en 2000 dans une coalition avec les chrétiens-démocrates. Il avait ensuite renoncé à sa position de chef pour calmer le tollé survenu en Europe et s'était replié officiellement en Carinthie pour diriger le parti à distance avant de créer le BZÖ, en 2005.

Au cours de la dernière campagne, il avait laissé de côté les envolées provocatrices, et se présentait comme le champion du peuple face à une élite politique «privilégiée».

Sa disparition devrait se traduire par des lendemains difficiles pour son parti à l'échelle nationale. «Le BZÖ, c'était Jörg Haider. Sans lui, ce n'est plus rien», estime Peter Hajek.