L'ONU vient de sonner l'alarme: il faut recueillir 18 millions de dollars pour venir en aide à quelque 800 000 personnes en Mongolie, en majorité des éleveurs nomades et leurs familles, victimes d'un hiver d'une extrême rudesse. Ces Mongols ont tout perdu et iront à contrecoeur s'entasser dans leur capitale suffocante, Oulan-Bator, nous explique notre correspondant.

Ratnabatam Batam traîne le cadavre de l'un de ses moutons hors de son enclos. Il le dépose près de dizaines d'autres, à une centaine de mètres de sa yourte (tente ronde), où une chèvre affamée arrache les entrailles de l'une de ses congénères.

 

L'hiver vient de se terminer, mais les animaux affaiblis de Ratnabatam meurent toujours. Des 600 chèvres et moutons qu'il avait, il n'en compte plus qu'environ 200.

«J'ai perdu 20 ans de travail en 3 mois», se désole l'éleveur, qui a embrassé la vie nomade au milieu des années 80 à l'appel du Parti révolutionnaire du peuple mongol, alors parti unique.

Malgré tout, Ratnabatam refuse d'abandonner sa vie d'éleveur dans la province de Boulgan, à 450 km au nord-ouest de la capitale. L'homme de 55 ans promet de se battre jusqu'au bout pour reconstituer son troupeau au lieu d'aller grossir les rangs des chômeurs à Oulan-Bator.

Exode massif

Depuis 1990, les quartiers de yourtes et de maisonnettes sommaires n'ont cessé de s'étendre à flanc de colline dans la capitale, autour d'un centre fait principalement de vieux édifices à l'architecture socialiste. Oulan-Bator compterait maintenant entre 1,1 et 1,6 million d'habitants, selon les estimations. Près de la moitié des 3 millions de Mongols s'entasse donc dans la capitale de ce vaste pays désertique, ironiquement le moins densément peuplé du monde.

Dans les dernières années, malgré les hivers doux, 27 000 familles en moyenne quittaient la province le printemps venu pour installer leur yourte dans les faubourgs poussiéreux, pollués et sans eau courante de la capitale.

Mais avec le dzud blanc (hiver rigoureux et très neigeux) qui a frappé presque toutes les régions du pays cette année, l'exode rural ne pourra qu'être encore plus massif. Déjà, près de 75% des régions du pays ont décrété l'état d'urgence.

«Oulan-Bator n'est pas prêt à les accueillir, mais il doit les accueillir», indique Ourantsoodj Gombosouren, directrice du Centre pour les droits de l'homme et le développement (CHRD). «Il y a déjà dans cette ville deux fois plus de monde que ce qu'elle peut absorber, mais puisqu'il n'y a pas de régulation, on ne peut pas arrêter les migrants.»

Depuis l'adoption de la nouvelle Constitution, en 1992, les Mongols ont le droit de circuler librement sur leur territoire. Si une famille choisit la vie sédentaire, elle peut prendre possession d'un terrain libre, à Oulan-Bator ou ailleurs, puis lancer les démarches de légalisation.

Selon Ourantsoodj, la seule solution pour freiner le flux de migrants serait d'investir dans le développement régional.

Elle note que, à l'époque communiste, les éleveurs faisaient partie de coopératives et étaient mieux protégés en cas de catastrophe. «Le gouvernement était responsable de tout s'il y avait un dzud», dit-elle.

À coups de pic

Aujourd'hui, les éleveurs sont propriétaires de leur troupeau. Lorsque, impuissants, ils voient leurs bêtes mourir de froid, c'est leur capital et leurs futurs revenus qu'ils voient disparaître.

Lors du dernier dzud, qui a duré trois hivers consécutifs (2000-2003) et tué plus de 11 millions de bêtes, Gambat Soumiya a quitté la vie d'éleveur. Depuis, il dit avoir visité toutes les villes du pays pour se trouver un emploi. Sans succès.

«Avec le recul, je regrette. Je n'aurais pas dû vendre le reste de mon bétail. Maintenant, je dis à mes amis éleveurs de continuer à prendre soin des animaux qu'il leur reste parce que, tôt ou tard, le cheptel grandira à nouveau et, au moins, ils auront un revenu.»

Pendant ce temps, Batchtolong nivelle à coups de pic son nouveau terrain en périphérie d'Oulan-Bator, dans un quartier qui n'est pas encore électrifié ni desservi par les transports en commun, à 17 kilomètres du centre-ville.

Le jeune homme de 26 ans, qui a grandi à la campagne avec ses grands-parents éleveurs, montera ici sa yourte pour y habiter avec sa mère. Mais, pour lui, la ville n'est qu'un passage obligé. «Je vais travailler ici de 5 à 10 ans pour amasser de l'argent, puis j'achèterai un troupeau pour aller vivre dans la steppe», promet-il.