Trois questions à Miloud Chennoufi, observateur du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord au Collège des Forces canadiennes, à Toronto.

Q: Avez-vous été étonné par le discours de Bachar al-Assad?

R: Non. Je ne pouvais pas être surpris puisqu'il est à la tête d'un système très fermé, très autoritaire, qui repose sur des alliances qui font en sorte que beaucoup de gens ont intérêt à ce que le système se maintienne comme il est. Je ne doute pas que, lors de son arrivée, il avait des idées réformatrices. Mais vous ne pouvez pas réformer sans avoir une équipe de réformateurs. Le problème est que son entourage n'est pas convaincu de la nécessité des réformes. Ce que vous entendez dans les discours n'est pas la volonté personnelle du président. C'est le résultat des rapports de force à l'intérieur du régime qui est encore à l'avantage des conservateurs.

Q: Comment peut-on percevoir ces dissensions?

R: Quand les événements ont commencé et qu'il y a eu des tirs avec de vraies balles, la conseillère politique de Bachar al-Assad a dit: l'ordre d'utiliser de vraies balles n'est pas venu du président. Ça veut dire que quelqu'un d'autre ailleurs dans le régime prend ce genre de décision. Ce qui prouve que les mains du président ne sont pas complètement libres. Autre indice: tout le monde s'attendait aujourd'hui à ce qu'al-Assad lève l'état d'urgence. Il n'en est rien. Ça donne une idée des discussions qui se passent dans les coulisses. Qui pourrait s'opposer à la levée de l'état d'urgence? Ceux qui en profitent, les services de sécurité. L'état d'urgence suspend la loi, permet aux services de sécurité d'intervenir chez les gens sans mandat. Ceux qui en profitent ne veulent pas que ça s'arrête.

Q: Quels parallèles peut-on tracer avec la Tunisie ou l'Égypte?

R: Si on doit avoir appris quelque chose depuis décembre, c'est que, dans le monde arabe, chaque cas est particulier. Le cas syrien est un hybride: comme en Égypte et en Tunisie, on trouve un État autoritaire organisé autour des services de sécurité et d'une élite économique qui profite du pouvoir. Ce qu'il y a de différent en Syrie, qui la rapproche plus du cas du Liban et de l'Irak, est la composante culturelle très hétéroclite (sunnites, chiites, chrétiens, kurdes...). Il y a beaucoup de Syriens, à juste titre d'ailleurs, qui ont peur du scénario libanais ou irakien. Et le régime al-Assad va jouer là-dessus.

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