Les vaisseaux de l'OTAN dépêchés au large des côtes libyennes lors de l'opération militaire du printemps 2011 en ont-ils fait assez pour venir en aide aux migrants qui tentaient de fuir par la mer Méditerranée? Au moment où un rapport du Conseil de l'Europe adopté hier reproche à l'organisation de ne pas avoir réagi aux signaux de détresse émis par un Zodiac qui a connu une fin tragique, la marine canadienne est critiquée pour son intervention auprès d'une autre embarcation.

La frégate canadienne Charlottetown a-t-elle «abandonné» l'année dernière en mer Méditerranée un bateau de migrants à bord duquel se trouvaient des femmes enceintes dans le besoin? Ou s'est-elle plutôt acquittée «avec diligence» de son devoir d'assistance en veillant à ce que l'embarcation et ses occupants arrivent à bon port?

Deux visions s'affrontent relativement à l'opération menée le 25 mars 2011 par le navire militaire, qui est vivement critiquée par un prêtre chapeautant à Rome une association d'aide aux réfugiés.

Le père Mussie Zerai, qui a sonné l'alarme après avoir reçu un appel de détresse du bateau de migrants en question, affirme en entrevue à La Presse que les militaires canadiens se sont contentés d'une intervention sommaire sur le bateau surchargé avant de se retirer et de lui permettre de reprendre sa route.

Ils ont surtout, dit-il, omis d'évacuer deux femmes enceintes malgré «l'urgence». La première, relève le religieux, resté en contact avec les migrants, a accouché à bord dans les heures qui ont suivi l'intervention canadienne. La seconde, toujours selon lui, a perdu son enfant en raison d'une fausse couche.

Le père Zerai affirme que les deux migrantes ont finalement été évacuées le 26 mars par hélicoptère vers la côte italienne à la suite de l'intervention d'un navire militaire italien, l'Etna, qui participait à cette époque, tout comme le Charlottetown, aux opérations de surveillance maritime menées par l'OTAN. Les autres migrants ont été transportés en lieu sûr avec l'aide de la garde côtière italienne.

«Les Canadiens ont donné de l'eau, des biscuits et ont ajusté le moteur avant de laisser partir le bateau. Ce n'est pas de l'assistance, ça [...]. Et si vous ne pouvez pas prendre des femmes dans le besoin à bord de votre vaisseau, vous demandez que quelqu'un d'autre vienne les prendre. Vous n'abandonnez pas ces gens», a déclaré à La Presse le religieux d'origine érythréenne lors d'une entrevue téléphonique.

Ses critiques font écho aux conclusions d'un groupe d'experts qui attirait l'attention sur l'intervention de la frégate canadienne dans un rapport paru il y a quelques semaines. Ils disaient y voir la preuve que les vaisseaux de l'OTAN se contentaient, durant le conflit libyen, d'assurer les «conditions minimales» pour permettre aux bateaux de migrants rencontrés de poursuivre leur route.

Un porte-parole de la Défense nationale canadienne, le lieutenant-colonel Christian Lemay, a confirmé à La Presse que le personnel du Charlottetown avait relevé la présence de femmes enceintes à bord du bateau de migrants où il est intervenu le 25 mars. Il assure cependant que personne «ne nécessitait une évacuation médicale d'urgence».

Le personnel de la frégate, ajoute le porte-parole, a «démontré diligence et professionnalisme» pour permettre à l'embarcation et à ses passagers de poursuivre leur route vers l'Italie en offrant une assistance technique et médicale ainsi que des vivres.

Le Charlottetown a ensuite «continué à observer» à distance la progression du bateau dans la nuit du 25 au 26 mars avant de transférer la responsabilité de la zone opérationnelle de patrouille où il se trouvait à l'Etna.

Le vaisseau italien est bien venu en aide à un bateau de migrants en détresse dans la journée du 26 mars, mais la Défense nationale dit ne pas savoir s'il s'agit de celui que le Charlottetown avait secouru la veille.

L'OTAN n'a pu non plus confirmer cette information. Un porte-parole de l'organisation à Bruxelles, Anthony White, s'est dit «certain», quoi qu'il en soit, que le personnel de la frégate canadienne n'aurait jamais laissé les femmes enceintes dans le bateau de migrants si leur condition médicale justifiait une évacuation.

La question de l'attitude des forces de l'OTAN envers les migrants croisés en mer Méditerranée dans le cadre du conflit libyen demeure sensible en raison de la tenue d'une enquête du Conseil de l'Europe sur la dérive tragique d'un Zodiac dans lequel une soixantaine de personnes ont trouvé la mort.

Hier, l'Assemblée parlementaire du Conseil a entériné un rapport soulignant que de nombreux dysfonctionnements sont survenus relativement à ce Zodiac. On reproche notamment à l'OTAN de ne pas «avoir réagi aux signaux de détresse» émis à son sujet.

L'organisation militaire assure qu'aucun des vaisseaux ou des avions sous son commandement durant l'intervention en Libye n'a vu l'embarcation en question ou n'a établi de contact avec elle.

Photo: Vincenzo Pinto, AFP

Le père Mussie Zerai affirme que les militaires canadiens ses sont contentés d'une intervention sommaire sur le bateau surchargé avant de se retirer et de lui permettre de reprendre sa route.