Comme des dizaines de milliers d'étrangers, Oboun Maabi a rassemblé ses maigres possessions, hier, et a quitté la Libye en catastrophe. Comme les autres, il voulait éviter les violences. Mais il avait une raison supplémentaire de fuir. Il est noir. Dans le chaos libyen, cela risquait de signer son arrêt de mort.

Oboun Maabi est ghanéen. Il travaillait dans le secteur de la construction à Zouara, une ville de l'ouest de la Libye tombée aux mains des rebelles. Depuis, les migrants originaires de l'Afrique subsaharienne n'y sont plus en sécurité. «Tous les opposants pensent que nous sommes des mercenaires de Kadhafi. Aujourd'hui, si on est noir à Zouara, on est mort.»

Le Ghanéen a passé deux jours aux portes de la Tunisie, entouré de milliers d'autres travailleurs, surtout égyptiens, fuyant aussi les violences. Mais de jeunes Tunisiens, qui se sont improvisés garde-frontières au poste de Ras Jdir, ne laissaient pas entrer les Africains. «Les Noirs sont laissés pour compte. Beaucoup ont dû rebrousser le chemin.»

Oboun Maabi ne voulait pas retourner en Libye. Alors, très tôt hier matin, il a pris la route du Sahara, son baluchon à l'épaule. La traversée du désert a duré trois heures, par un temps glacial. «Je n'avais pas le choix de passer illégalement. Ma vie en dépendait.»

L'homme de 32 ans a été arrêté en Tunisie et emmené au camp militaire de Ras Jdir, où s'entassent 9000 réfugiés. Il est maintenant du bon côté de la frontière, mais il s'inquiète pour les Africains restés en Libye. Et il n'est pas le seul.

Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés s'est dit préoccupé de leur sort, hier, et a appelé à ce que toutes les frontières «soient ouvertes d'une manière non discriminatoire pour quiconque cherche à fuir».

Le HCR a entrepris des négociations avec les jeunes Tunisiens de la région. Il craint que «le racisme joue un rôle» dans la sélection des migrants à la frontière. Or, les Africains «sont ceux qui ont le plus peur en ce moment».

Il y a de quoi avoir peur. «Ils ont été maltraités, injuriés et battus seulement parce qu'ils étaient noirs», raconte Tarek Ben Ali, représentant de l'Organisation internationale pour les migrations au camp de Ras Jdir. «Un Soudanais m'a raconté que son ami avait été aspergé d'essence et brûlé sous ses yeux. Il est en état de choc.»

Un grand nombre de personnes originaires d'Afrique subsaharienne vivent en Libye. La plupart d'entre elles gagnent leur vie grâce à de petits boulots, comme jardinier ou laveur de voitures, par exemple.

Mais Mouammar Kadhafi aurait aussi recruté des Africains comme mercenaires pour écraser l'insurrection.

Après avoir fait défection la semaine dernière, l'ambassadeur de la Libye en Inde, Ali al-Essawi, a déclaré à la chaîne Al-Jazira que ces mercenaires «font des choses terribles, ils vont dans les maisons et tuent les femmes et les enfants».

Combien seraient-ils? Impossible à dire. Mais la réserve du dictateur serait presque inépuisable, selon José Gomez del Prado, président du groupe de travail sur l'utilisation de mercenaires au Conseil des Nations unies sur les droits de l'homme.

«Particulièrement en Afrique, beaucoup de gens ont vécu des guerres pendant des années, a-t-il expliqué récemment au quotidien The Guardian. Ils ne connaissent rien d'autre. Ils sont bon marché, prêts à faire le travail pour peu d'argent. Ils sont des tueurs entraînés.»

CIVILS ÉPARGNÉS? Saïf al-Islam, le fils cadet de Mouammar Kadhafi, a nié hier en entrevue que le régime libyen ait attaqué des civils, mais il a reconnu qu'il n'y avait plus d'«armée organisée» dans l'est du pays. «Il y a un problème dans l'Est, il faut l'admettre. Mais l'Est ne représente que 20% du pays. Le reste est OK.»

FRAPPES AÉRIENNES Après avoir pris le contrôle de l'Est et de secteurs à l'Ouest, certains membres de l'opposition libyenne envisagent une possible demande de frappes aériennes de l'étranger pour faire tomber le régime. Mais, pour l'instant, a souligné le secrétaire américain à la Défense Robert Gates, «il n'y a pas de consensus à l'OTAN» sur une intervention militaire. Il a aussi dit que la mise en place d'une zone d'exclusion serait «extraordinairement» compliquée.

PAIX OU GUERRE «Dans les années à venir, la Libye pourrait devenir une démocratie pacifique ou s'enfoncer dans une guerre civile prolongée» et sombrer dans le chaos, a averti la secrétaire d'État américaine, Hillary Clinton. Elle a également déclaré qu'elle soutiendrait une nouvelle enquête sur le rôle joué par Kadhafi dans l'attentat de Lockerbie, qui avait fait 270 morts en Écosse en 1988.

INTERVENTION PÉRILLEUSE Le nouveau ministre des Affaires étrangères de la France, Alain Juppé, a estimé hier qu'une intervention militaire de l'OTAN en Libye «mérite d'être regardée à deux fois» et pourrait être «extrêmement contre-productive» dans l'opinion arabe. - D'après AFP