Lors de l'élection présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy avait soulevé une tempête en déclarant dans une entrevue inusitée avec le philosophe Michel Onfray que la pédophilie était largement déterminée par les gènes.

Pas étonnant, dans les circonstances, que l'idée de se prêter à un interrogatoire philosophique soit vue par certains des principaux candidats de la campagne en cours comme un exercice périlleux.

Ces réserves n'ont pas empêché François Gauvin, philosophe et journaliste québécois établi de longue date à Paris, de solliciter l'ensemble des politiciens engagés dans la course pour recueillir leur point de vue sur des questions fondamentales traitant du bien et du mal, de la religion ou encore de la nature du pouvoir.

Le résultat de ses efforts est résumé dans un livre de quelques centaines de pages intitulé Bayrou, Hollande, Joly, Le Pen, Mélenchon, Sarkozy... Leur philosophie, qui sera bientôt offert au Québec.

L'auteur, qui se targue d'être le premier à avoir mené un tel exercice avec les candidats d'une élection, affirme avoir voulu établir par des questions «que tout le monde peut se poser» les convictions philosophiques des politiciens interrogés.

«Je leur ai dit qu'ils ne devaient pas me parler de leur programme ou des autres candidats», explique M. Gauvin.

«Ce qui était extraordinaire, c'était de constater que les candidats étaient capables de répondre du tac au tac à toutes les questions de manière structurée», indique le Québécois, qui doute qu'un tel exercice donnerait des résultats aussi probants en sol nord-américain.

La valorisation de la philosophie et de la culture en France n'est pas étrangère au phénomène, relate M. Gauvin, qui a été particulièrement marqué par la qualité des réponses de certains candidats des formations plus marginales.

Le chef du Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon, générait un feu roulant d'idées de haute voltige, relate-t-il. «Je me suis retrouvé dans une position d'élève à l'écouter», dit l'auteur.

Philippe Poutou, du Nouveau parti anticapitaliste, a surpris l'auteur en fustigeant une forme d'idéologie de la «sélection sociale naturelle» dans une intervention lui rappelant les théories du sociologue Pierre Bourdieu. «Il faisait du Bourdieu sans le savoir», dit M. Guérin.

Le Pen et l'héritage chrétien

La chef du Front national, Marine Le Pen, l'a étonné, dans un autre registre, en présentant les «frontières» et les «nations» comme des structures «naturelles». La politicienne, souvent taxée d'islamophobie, a aussi mis en opposition la liberté de l'individu issue de «l'héritage chrétien» à «l'expression la plus radicale de l'islam» qui nierait, selon elle, l'individu en le plaçant derrière la communauté.

«De manière générale, je n'intervenais pas sur les réponses. J'affichais une neutralité bienveillante. Un peu comme Socrate», explique l'auteur, qui a dû beaucoup insister pour convaincre François Hollande de prendre part à l'exercice.

Le candidat socialiste, qui a accepté de répondre par écrit à une dizaine de questions, se réclame d'Albert Camus pour résister à «l'absurdité du monde» et fustige «l'avidité» au coeur de la crise financière.

Nicolas Sarkozy n'a pas accepté de participer, ce qui a forcé M. Gauvin à conclure l'ouvrage par un dialogue imaginaire qui évoque notamment l'épisode de l'entrevue avec Michel Onfray en 2007.

Selon M. Gauvin, l'équipe du président a refusé l'invitation simplement parce qu'il n'était pas encore officiellement candidat, non par peur.

«Sinon, il aurait accepté. C'est un coq qui ne recule pas devant les défis», relève l'auteur, qui se félicite d'avoir replacé la réflexion philosophique au coeur du processus électoral.

FRANÇOIS HOLLANDE

Le candidat socialiste affirme ne pas croire que l'exercice du pouvoir tend à éloigner les élus des problèmes que vivent les gens ordinaires. Il dit garder les fenêtres «grandes ouvertes» sur le pays et plaide pour la fin de «l'inertie» devant le néolibéralisme de manière à contrer la montée de la précarité. La conscience que l'homme est «le fruit» de la nature l'oblige à rompre avec la «société du gaspillage», relève le candidat, qui ne croit pas cette démarche incompatible avec la croissance. Il dit vouloir redresser l'économie de la France pour permettre aux chômeurs de renouer avec le travail, «un moyen d'épanouissement et d'accomplissement personnel», et relève, enfin, que l'homme a «éminemment besoin» de se dépasser.

MARINE LE PEN

La dirigeante du Front national souhaite que le pouvoir soit rendu au «peuple» et fustige les élites qui cherchent à le représenter comme étant «ringard, recroquevillé, peureux, raciste». Elle s'en prend au «totalitarisme mondialiste» qui voudrait réduire l'homme à une sorte «d'homo oecomonicus individualiste qui se résume à ses qualités de producteur et de consommateur». La politicienne s'attaque à un mouvement prétendu de «déresponsabilisation» et «d'infantilisation» qui pousse la population à tenir «l'autre» responsable de ses ennuis. Elle avance par ailleurs que toutes les discriminations ne sont pas injustes et évoque, à titre d'exemple, le fait de réserver des «droits supplémentaires à des nationaux dans leur pays par rapport à des étrangers».