Obama arrive. Avec, dans son sillage, des espoirs démesurés et la conviction que, désormais, tout est de nouveau possible. De quoi nous donner une féroce envie de redécouvrir «l'Amérique». Six journalistes de La Presse ont fouillé dans leurs souvenirs, parfois récents, parfois lointains. Ils partagent avec nous leurs moments de grâce à l'endroit d'un pays qui se trouve, une fois de plus, à un carrefour.

C'était en février dernier, à la veille du Super Tuesday, la journée où des primaires se tenaient dans 24 États américains. La Presse m'avait dépêchée en Arizona, l'État de John McCain. Plus précisément à Phoenix, une ville encastrée au milieu de collines désertiques. Le sujet de l'heure, c'étaient les immigrants illégaux. Ces Mexicains, Salvadoriens et Guatémaltèques qui avaient franchi des frontières souvent au péril de leur vie. Et qui ne cherchaient qu'une chose: gagner assez d'argent pour en envoyer à leurs familles restées dans le Sud...

 

De la réceptionniste du motel au serveur du bouiboui du coin, je ne tombais que sur des gens qui haïssaient les illégaux. Les militants républicains de cet État les abhorraient tant qu'ils préféraient voter pour n'importe quel candidat sauf John McCain. Celui-ci voulait régulariser le sort des 12 millions d'illégaux et c'était assez pour être discrédité à leurs yeux. Un après-midi, j'ai passé quelques heures avec un groupe de ces militants qui avaient pris l'habitude de brandir leurs pancartes aux endroits où les employeurs venaient embarquer les illégaux pour une journée d'ouvrage.

Ce que disaient ces gens donnait la chair de poule. Les illégaux nous apportent des maladies, se plaignait une dame. Quelles maladies? La tuberculose, l'hépatite, même la lèpre! dénonçait-elle. Eh oui madame, rien de moins, la lèpre.

D'un côté de la rue, des hommes et des femmes élégamment vêtus, le front plissé, sûrs de leurs droits. De l'autre côté, des types à la peau basanée avec leurs vieux jeans et leurs pulls en coton ouaté, trépignant de froid dans la lumière déclinante. Soudain, le ciel s'est obscurci. Pendant l'averse, je me suis réfugiée dans l'auto. Puis la pluie a cessé et un soleil flamboyant a émergé derrière les nuages noirs. Au lieu de retourner vers mon motel, je me suis dirigée vers les collines dont les flancs avaient maintenant viré au rouge vif. On aurait dit que tous les phénomènes météorologiques s'étaient concentrés en un seul paysage: une pluie d'orage, un soleil brûlant et par-dessus tout, le demi-cercle d'un arc-en-ciel.

Sur la route qui montait, les cactus pointaient leurs doigts d'honneur vers le ciel. La ville, les nuages, le soleil, les collines incandescentes: Phoenix était d'une beauté poignante à en faire mal. Tellement que pendant quelques secondes, j'ai fermé les yeux. Ce jour-là, j'ai eu l'impression de voir toute la laideur du monde. Et toute la beauté du monde...