Le nombre d’échantillons d’ADN recueillis par les forces de l’ordre aux États-Unis ne cesse d’augmenter, ce qui inquiète au plus haut point les organisations de défense des droits de la personne.

Les plus récents chiffres dévoilés par le FBI indiquent que 21 millions d’Américains, représentant près de 7 % de la population, figurent aujourd’hui dans la banque de données génétiques nationale chapeautée par la police fédérale.

Le directeur du FBI, Christopher Wray, a indiqué en avril que le nombre d’échantillons s’ajoutant chaque mois était largement supérieur à la moyenne historique et ferait augmenter, si le rythme se maintient, le total de plus d’un million et demi par année.

Le site The Intercept, qui documente la situation dans un article paru il y a quelques jours, relève que la collecte d’échantillons est si importante qu’elle peut être comparée, en proportion de la population, à ce qui se fait en Chine.

En 2017, près de 4 % de la population américaine figurait dans la banque d’ADN du FBI alors que Pékin relevait alors avoir fiché 44 millions de personnes représentant 3 % de sa population.

Le total, côté chinois, a augmenté sensiblement depuis, puisque les autorités, sous prétexte d’intensifier la lutte contre la criminalité, ont annoncé leur intention de recueillir des échantillons d’ADN auprès de 5 à 10 % des 800 millions d’hommes du pays.

À titre comparatif, les plus récentes données relativement à la banque d’ADN canadienne chapeautée par la Gendarmerie royale du Canada contiennent des échantillons concernant moins de 2 % de la population.

« La quantité de données génétiques collectées aux États-Unis augmente de façon astronomique alors qu’il n’y a pas de justification pour une telle progression », relève Jennifer Lynch, une juriste rattachée à l’Electronic Frontier Foundation (EFF), qui se consacre à la protection de la vie privée.

L’augmentation est liée en partie à la décision de l’administration de l’ex-président Donald Trump d’ordonner le prélèvement d’échantillons d’ADN sur les migrants arrêtés ou détenus par les autorités.

D’autres facteurs sont aussi en jeu, notent les analystes consultés par La Presse.

Alors que la collecte d’échantillons d’ADN était traditionnellement limitée aux auteurs de crimes violents et sexuels, elle a progressivement été élargie.

Certains corps de police en recueillent aujourd’hui pour des délits mineurs ou font pression sur des personnes n’étant soupçonnées d’aucun crime précis, indique Mme Lynch.

« On a notamment vu ça en Californie où des jeunes ont été poussés à donner des échantillons sans raison précise. Il a fallu légiférer pour que la pratique cesse », souligne-t-elle.

Rythme accéléré

Anna Lewis, une chercheuse de l’Université Harvard qui étudie les aspects éthiques de la recherche génétique, relève que certains policiers cherchent à obtenir des échantillons de « personnes d’intérêt » à leur insu, par exemple en leur offrant une cigarette qui est ensuite récupérée discrètement.

« Plus il y a de gens qui figurent dans les banques de données génétiques, plus le système risque d’être performant. C’est un élément qui motive les corps de police à vouloir recueillir autant d’échantillons que possible », dit-elle.

Le développement de nouvelles technologies rendant plus facile l’utilisation d’échantillons d’ADN a aussi contribué à accélérer le rythme des prélèvements.

L’EFF s’alarme notamment de l’apparition d’appareils d’« ADN rapide » permettant de soumettre un échantillon qui est séquencé automatiquement et comparé aux échantillons déjà en banque sans avoir à passer par un laboratoire, un processus pouvant réduire le temps d’attente de quelques semaines à quelques heures.

« Plus la technologie est abordable et facile d’utilisation, plus elle est susceptible de se répandre », note Mme Lewis.

L’État de la Louisiane autorise notamment l’utilisation de cette technologie, qui soulève, selon l’EFF, des questions importantes en matière de fiabilité susceptibles de favoriser les dérapages.

L’organisation note que les échantillons recueillis ne répondent pas aux normes requises pour figurer dans la banque de données centralisée, ce qui pousse les forces de l’ordre locales à constituer des banques de données « sauvages » dans un contexte où la réglementation fait défaut.

Une recette pour les abus en Chine

Alors que la situation aux États-Unis retient peu l’attention, les pratiques de la Chine en matière de collecte d’échantillons d’ADN sont régulièrement critiquées.

Human Rights Watch avait notamment sonné l’alarme à ce sujet il y a quelques années en relevant que les autorités policières obligent régulièrement des individus qui n’ont été ni condamnés ni même soupçonnés d’un crime de se soumettre au prélèvement d’un échantillon.

Les minorités sont souvent prises pour cible, notamment au Xinjiang, où une fraction importante de la population musulmane, sous haute surveillance, a été contrainte d’obtempérer.

« La collecte massive de données génétiques par la police chinoise en l’absence de mécanismes efficaces de protection de la vie privée et d’un système judiciaire indépendant est une recette parfaite pour les abus », a prévenu Human Rights Watch en exigeant, sans succès, que Pékin révise ses pratiques en la matière.