S’ils s’en battent les couilles, peut-on enfin s’en battre le clito ? Un Robert nouveau ose une réflexion sur la question, avec Les mots du Q, dictionnaire inédit sur le sens implicite des mots et leur portée sur nos sexualités. Entretien avec son autrice aux ambitions linguistiques « révolutionnaires », Camille Aumont Carnel, en quatre temps.

Qui est Camille Aumont Carnel ?

Attention, mots crus en vue. C’est que Camille Aumont Carnel, « chantre de la sexualité positive » selon Le Figaro, « influenceuse sexo féministe » pour Libération, de passage à Montréal cette semaine pour le lancement de son livre, n’en est pas à un squirt, bite ou cul près. La fondatrice du compte Instagram @jemenbatsleclito, avec près de 1 million d’abonnés sur ses différents réseaux sociaux, citée parmi les 30 personnalités de moins de 30 ans les plus influentes en France selon le magazine Forbes (2022), décomplexe la sexualité féminine depuis plusieurs années déjà. À la base, l’autrice, influenceuse et entrepreneuse vingtenaire s’est mise à rédiger de petites phrases courtes et senties sur la sexualité féminine (jouets, odeurs, orgasmes, bruits) « pour que les gens se reconnaissent et pour rigoler », résume-t-elle. « Mais malgré moi, c’est devenu éducatif. Malgré moi, je me suis rendu compte que les plus jeunes utilisaient ce compte pour comprendre. » Après avoir publié un livre pour les adolescents l’an dernier (#Adosexo, chez Albin Michel), la revoici avec ce dictionnaire particulier, également Manifeste joyeux des sexualités.

Consultez son compte Instagram

Une volonté de faire réfléchir

Si certains la voient encore comme « la meuf d’Instagram qui fait des punchs », cette publication à l’invitation du Robert (dans une toute nouvelle collection Dire c’est agir) lui offre une tribune plus « institutionnelle ». « On ne questionne pas le Robert », sait-elle. Camille Aumont Carnel est d’ailleurs en mission : « J’ai cette volonté de faire réfléchir, questionner telle ou telle expression […], souligner à quel point elles sont problématiques, et en proposer de nouvelles qui n’insultent personne. » Les règles, les préliminaires, l’impuissance, cite-t-elle dans le livre, coécrit avec la sociolinguiste Noémie Larignier, aviez-vous déjà pensé à tous les clichés sexistes et autres comportements attendus et sous-entendus impliqués ? « On pointe vers la soi-disant puissance d’un individu, en lien avec son érection ! On ne s’en rend même plus compte et on l’utilise au quotidien ! » L’éventail des expressions pour qualifier le sexe féminin en dit aussi très long. « Un trou ? Pardon ? Non. […] C’est une méconnaissance totale de l’anatomie. » D’ailleurs, ajoute-t-elle, « ils sont où, les adjectifs de grandeur (pour parler du sexe féminin) ? » D’où l’idée de proposer de nouvelles expressions, en vue de « changer les mentalités », un petit mot à la fois, dit-elle. Non, on ne « se fait » pas violer (l’expression, grammaticalement correcte, sous-entend en effet une forme de responsabilité), mais on « est » violée. Des « irrégulières » (parce qu’il n’y a rien de plus irrégulier que les règles), à la « zone G » (c’est loin d’être un point), en passant par l’« aphonie orgasmique » (ce joyeux moment sans voix) ou, pourquoi pas (pardonnez l’anglais, on parle avec une Française, après tout !), la « big clit energy » (pendant féminin du big dick energy), les idées inspirées ne lui manquent pas.

La particularité de la langue française

Elle avait 6 ans quand on lui a inculqué que « le masculin l’emporte sur le féminin », s’insurge notre verbomotrice autrice, en dénonçant ce « sexisme institutionnalisé » et tout ce que « cela engendre en termes de schéma et d’autorisation d’action ». Une « non-inclusivité » toute française, faut-il le signaler : l’anglais, neutre par défaut, est de facto plus inclusif, tandis que l’espagnol a un registre beaucoup plus « dense », avec des jurons et des propos familiers joyeusement diversifiés. « D’où ma volonté de m’attaquer à la langue française dans un rapport plus égalitaire », dit-elle. À « rien à foutre » par exemple, Camille Aumont Carnel propose de substituer « rien à mouiller ». Vulgaire, vous dites ? « Moi, je ne trouve pas, si on trouve qu’en avoir rien à foutre n’est pas vulgaire. C’est un niveau de langage. […]. Mais quitte à ce que ce soit vulgaire, il faut que nous aussi, on ait une place dans cette vulgarité. » Pourquoi, au juste ? « Parce que la vulgarité est un des premiers espaces de la colère, et je refuse que ce soit une forme que masculine, tranche l’autrice. Sinon : il faut qu’on soit douce ? Euh, non ! »

Une proposition révolutionnaire

Elle ne s’en cache pas : pour en finir avec cette « dynamique de pouvoir et de domination classique et vieille de 5000 ans », l’autrice et féministe propose une sorte de « révolution sexuelle linguistique ». Exit : perdre sa virginité, être vaginale ou clitoridienne, un bon coup ou encore baiser comme un Dieu. Exit enfin cette dictature de la performance, entre autres. « Tu as le droit de t’autoriser à inventer des mots », résume-t-elle. Mieux : « tu as le droit de t’autoriser à faire tout ce qui te passe par la tête : sortir sans soutien-gorge, mettre du blanc quand tu as tes règles, coucher le premier soir, envisager un couple non exclusif. […] Ceci est un livre qui te dit : ta sexualité ne dit rien de toi… » Tant que les mots utilisés pour en parler sont inclusifs et surtout non discriminatoires…

Les mots du Q – Manifeste joyeux des sexualités

Les mots du Q – Manifeste joyeux des sexualités

Dire c’est agir, Le Robert

393 pages