Le party est pogné. Samuel tente de percer le brouhaha en répétant qu’on serait prêts à commencer… Certains l’entendent enfin et murmurent « chut ! » à leurs voisins qui réalisent, gênés, qu’on attend leur silence. Je suis conquise.

Après avoir lu ma chronique au sujet de l’écoute, Samuel Raymond et Carole Lafrance (respectivement intervenant et directrice générale des Habitations Nouvelles Avenues) ont convié les résidants du lieu à une discussion sur la communication. Dans cette chronique, je demandais à des experts « comment mieux écouter ». J’étais curieuse de savoir ce que des aînés pourraient quant à eux m’apprendre à ce sujet, forts de leur longue expérience terrain. Je me suis donc jointe à la rencontre…

Lisez la chronique « Oreilles grandes ouvertes »

À mon arrivée aux Habitations, Carole Lafrance m’explique qu’environ 120 activités sont offertes aux résidants chaque année. C’est qu’on favorise l’implication des locataires. Ce sont eux qui orchestrent les cours de danse en ligne, les après-midis de jeux et le jardinage, par exemple.

« Ils sont encore jeunes à 85 ans et on veut qu’ils continuent à exploiter leurs talents ! »

La vision de la directrice générale des Habitations Nouvelles Avenues s’arrime bien à la mission première de l’OSBL d’habitation. En 1991, un groupe de citoyens et d’organismes du quartier Rosemont a entamé de longues démarches pour subvenir aux besoins des aînés en matière de logement accessible. En 1993, on leur a attribué des terrains sur l’ancien site du Centre Paul-Sauvé. On y compte maintenant 130 unités pour personnes de 60 ans et plus autonomes ou en légère perte d’autonomie. Près de 70 % de celles-ci sont destinées à des locataires ayant un faible revenu. L’objectif est de permettre aux aînés d’être responsables de leur milieu de vie et de vieillir en communauté. Mieux, en communauté active.

D’ailleurs, la rencontre d’aujourd’hui s’inscrit dans une démarche entamée il y a quatre ans, lors de la création de la charte de bientraitance des Habitations Nouvelles Avenues.

La politique repose sur 10 principes qui favorisent le bien-être de tous, dont le respect du rythme et des choix de chacun, puis la lutte contre l’intimidation. À l’époque, pour imaginer la charte, on avait organisé une série d’entretiens. Les résidants avaient alors proposé des solutions pour rendre leur milieu de vie plus bienveillant, notamment la création d’ateliers sur la communication.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Carole Lafrance, directrice générale des Habitations Nouvelles Avenues et Samuel Raymond, intervenant

« Parfois, des discussions virent mal, rappelle Samuel Raymond, maintenant qu’il a obtenu l’attention de ses 17 invités. Les rumeurs partent vite et ça peut engendrer de la tristesse chez certains. On veut limiter ça. »

La rencontre d’aujourd’hui sert d’essai, explique l’intervenant. On verra à la fin de celle-ci si les résidants souhaitent participer à une série d’ateliers ou non. Pour lancer le bal, il les invite à commenter ma chronique. Aussitôt, un homme répond : « Ce qui m’empêche d’être réellement à l’écoute, c’est que j’installe mon préjugé entre moi et l’autre. »

Ça commence fort.

Le groupe est inspiré : on a tous des idées sur les autres et si on les laisse teinter notre écoute, on n’accède pas à la vérité d’autrui ! Alors, comment mettre nos partis pris de côté ?

« C’est difficile, mais on a tout à gagner parce que la majorité des gens cherchent un bon écouteur plus qu’un bon parleur ! », lance un autre participant.

Une idée émerge. Est-ce qu’on pourrait nommer les émotions qu’on perçoit chez notre interlocuteur pour s’assurer que l’on comprend bien la manière dont il se sent ? « Écouter l’état de l’autre et non seulement ses propos », résume une participante. Une femme ajoute que ça aiderait tout le monde, au fond : « Quand notre interlocuteur reflète nos émotions, il nous aide à nous démêler ! »

Au fait, qu’attend-on de la personne à qui on se livre ? demande Samuel Raymond. Qu’elle nous fasse réfléchir, nous permette de cheminer, nous montre l’envers de la médaille et identifie des pistes de solution. On revient à l’autonomisation : souvent, on souhaite évaluer nos options.

Puis, la conversation prend une tournure philosophique : « Des fois, c’est plus confortable de ne pas entendre, non ? »

Un participant souligne que les médias ont leur rôle à jouer là-dedans. Quand on met de l’avant une prof qui insulte ses élèves, est-ce qu’on le fait pour la juger ou pour la comprendre ? Il se le demande.

Le débat s’enflamme, tandis que j’évalue les réelles motivations de mon écoute. (Plus d’ateliers comme ça svp, merci.)

Quelqu’un fait remarquer qu’à l’opposé, on doit parfois faire abstraction de ce qu’on entend pour se protéger : « Quand on vit en communauté, les propos négatifs peuvent devenir envahissants. Pourquoi ne pas faire des affiches “Je me mêle de mes affaires” pour éviter les commérages ? »

Les gens aiment beaucoup l’idée. Puis, la discussion se transforme en cercle de partage. Quand un homme se vide le cœur au sujet des préjugés engendrés par sa situation de handicap, ses comparses l’applaudissent chaudement.

L’intervenant des Habitations Nouvelles Avenues propose alors de créer des espaces pour que chacun puisse révéler aux autres résidants ce qu’il vit. Comment on disait ça, en début de rencontre ? Ah oui ! Parce que nos préjugés nous empêchent parfois de bien écouter.

« Quelqu’un qui n’a pas encore parlé veut le faire ? », demande Samuel Raymond, après 90 minutes de discussion.

Une femme se risque : « J’ai souvent peur de parler parce que d’autres le font mieux que moi. » Une autre répond : « Moi aussi, mais c’est important de savoir s’affirmer… De ne pas être la petite dame qui ne dit rien ! Des ateliers de communication, je trouverais ça super intéressant. »

C’est unanime. Voilà qui est réglé.

Puis, un homme lève la main. S’il n’a pas encore parlé, c’est parce qu’il est malentendant et qu’il nous a écoutés différemment. En fait, il nous a écoutés en nous regardant : « Et j’ai entendu l’harmonie. »

Je l’ai entendue aussi, à travers les échos d’une vieillesse peu reflétée dans la culture populaire. Une version pourtant bien réelle dans laquelle on a encore un monde à refaire et des idées pour pousser à la roue.